Jean-Philippe Qadri, « L’IA pour nous »

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Jean-Philippe Qadri
L’IA pour nous

(Inédit, été 2018)

 

Il nous faut le temps d’oublier l’ancien Dieu pour nous en fabriquer un nouveau et recréer totalement l’univers à son image. La Totalité sur terre : depuis l’alpha du réel jusqu’à l’oméga du vrai ? Nous n’aurons de cesse que nous ne l’ayons atteinte. Voilà l’entreprise raisonnable dans laquelle l’âge de raison a engagé l’humanité.

Bernard Charbonneau, Prométhée réenchaîné, 2001, p. 67.

Je me méfie totalement de tout le mouvement utopiste, car il n’évitera pas le piège de la reconstruction de la cité rationnelle et parfaite, c’est-à-dire où la Technique sera Tout et en Tous.

Jacques Ellul, le Système technicien, 1977, p. 286.

Le 8 septembre 2017, Cédric Villani, mathématicien et député LREM de l’Essone, est chargé par le Premier ministre Édouard Philippe de conduire la mission sur la mise en œuvre d’une stratégie française et européenne en Intelligence artificielle.

La remise du rapport « Donner un sens à l’intelligence artificielle »1 a lieu au Collège de France le 29 mars 20182. Cette journée est placée sous le titre « AI for humanity » ( « l’IA pour l’humanité »), traduit par « L’intelligence artificielle au service de l’humain » sur le carton de l’allocution présidentielle. Ce titre est aussi celui du site internet officiel qui présente la mission, son rapport et la vidéo de la journée3.

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À cette occasion, Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé du Numérique, ouvre la journée de présentation du rapport en précisant que « l’enjeu de l’intelligence artificielle est bien celui de la maîtrise par les citoyens, celui de la maîtrise par les humains », laquelle maîtrise doit passer par la connaissance et la compréhension de ce qu’est l’IA. Mais très vite le même homme révèle que comprendre signifie pour lui accepter, que connaître signifie approuver. Car après avoir listé les trois premiers acteurs à qui ce rapport s’adresse – l’État, les chercheurs en IA et les entreprises spécialisées en IA pour leur rôle essentiel dans la Recherche comme dans la « diffusion de l’IA dans les entreprises non spécialistes en IA » afin de leur fournir « les capacités à déployer toutes les possibilités offertes par l’intelligence artificielle » –, Mounir Mahjoubi disserte longuement sur les citoyens, « l’acteur le plus essentiel » : 

«C’est un impératif absolu [de] transmettre la capacité à comprendre l’intelligence artificielle » car sinon « nous sommes certains que nous allons créer des résistances légitimes. Aujourd’hui, c’est déjà 20 % de Français qui ne savent pas utiliser une interface numérique, donc imaginer, quand on ne sait pas utiliser une interface numérique, quand on voit tout le monde vous parler d’Internet dans tous les sens, qu’on arrive par-dessus et qu’on rajoute que l’accélération qu’on a connu ces 20 dernières années c’est rien à côté de celle qui arrive les 20 prochaines et que l’intelligence artificielle va tout transformer – la réaction la plus naturelle possible d’un être humain le plus normal possible, c’est de dire : “Stop !”. Donc faisons attention à ne pas recueillir ce “Stop !”. Et toutes les initiatives que nous mènerons – nous l’État mais [aussi] nous cette communauté des passionnés, d’experts de l’intelligence artificielle – et qui seront de nature à faire que les citoyens comprennent, eh bien, ce sera de nature à aller plus loin.»

Ainsi, dès la 14e minute d’ouverture de la journée, est annoncée que la Mission Villani a pour objectif principal de faire « comprendre » aux citoyens qu’il s’agit d’« aller plus loin » et que, pour ce faire, il ne faut tenir compte ni du passé (« l’accélération qu’on a connu ces 20 dernières années »), ni des prospectives bien connues des dirigeants (« celle qui arrive les 20 prochaines ») et encore moins de « la réaction la plus naturelle possible d’un être humain le plus normal possible ».

La journée de « l’IA pour l’humanité » commence donc par l’annonce qu’un « être humain » qui chercherait à comprendre l’IA doit rejeter ce qui est le plus naturel et normal en lui. Comprendre, c’est accepter. Accepter de suivre l’État dans ses choix stratégiques en faveur de l’IA , accepter de laisser les « experts » de l’intelligence artificielle « aller plus loin », aussi loin que leurs désirs du moment – de demain, assurément au-delà.
C’est ainsi que, tout en répondant aux critiques les plus opportunistes déjà exprimées en la personne d’Elon Musk – lequel, le 29 août 2017, annonçait, sur son compte Twitter que « l’IA sera la meilleure ou la pire des choses pour l’humanité »4 –, « L’IA pour l’Humanité » est un slogan qui rappelle comment un système, par la propagande, parvient à assimiler tout discours d’opposition par la récupération, la falsification ou la parodie.

Il faut relever comment la première page de l’introduction du rapport, sa 4e de couverture ainsi que la couverture du dossier de presse du rapport5 est constituée de la pleine image d’un fond stellaire :

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Il faut également voir la photographie qui illustre la 6e partie du rapport (p. 162).

 

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Non seulement pour ce qu’elle représente : une foule compacte de jeunes gens en liesse, probablement rassemblée en extérieur, de nuit, ou dans une vaste salle de spectacle, smartphone allumés, les mains levées au-dessus de la tête pour applaudir…

Mais surtout pour ce qu’elle suggère : l’humanité, ayant vécu jusqu’à la génération actuelle dans les ténèbres, attend une nouvelle divinité – et la jeunesse l’adore déjà, à la manière de religieux fervents, les lumières des smartphones pouvant très bien être pris pour celles des cierges d’une procession ou des bougies d’une célébration.

Dès lors, l’omniprésence du ciel nocturne étoilé rappelle une autre nuit étoilée, célébrée depuis deux mille ans au cœur de la nuit avec des bougies – la nuit de Noël.

Le slogan « l’IA pour l’humanité » signifie alors le don de la Science à l’humanité d’une manière analogue au don de Dieu pour le salut du Monde en la personne de son Fils. Or, ce fils unique, Jésus-Christ, dit l’Évangile de Matthieu et la théologie, « c’est Emmanuel, Dieu avec nous, Dieu pour nous ! » 6

Une telle lecture est soutenue par les propos du Président de la République lui-même, dans son intervention7 au Collège de France, ce 29 mars 2018 :

L’intelligence artificielle […] nous renvoie à ce qui serait l’hypothèse leibnizienne selon laquelle il a plusieurs mondes possibles. Il y a chez Leibniz cette hypothèse que Dieu calculait pour nous le meilleur monde possible. Il y a donc quelque chose d’une option presque prométhéenne qui nous permet de revisiter la conception du monde de Leibniz, à travers l’intelligence artificielle, qui nous donnerait la capacité de réaliser nous-mêmes ce calcul et, à travers, en effet, des machines apprenantes, de pouvoir parcourir beaucoup plus rapidement les chemins du malheur pour choisir le bon chemin plus tôt et beaucoup plus rapidement.

La transcription officielle du discours a : « Il y a chez Leibniz cette hypothèse que “Dieu calcule pour nous le meilleur monde possible” » mais Emmanuel Macron a bien employé le passé : le Dieu de Leibniz ne calcule plus, même hypothétiquement… Dès lors, dans un univers délaissé par le Dieu des philosophes (et certainement celui de la Bible), le Président de la République commente « c’est une chance inouïe d’accélérer le calcul réservé à Dieu chez Leibniz » – d’autant que (croit-il) « Nul n’a envie de se priver de cette faculté » !

Et de revenir sur ce don fait aux hommes par la Science :

des choix sont déjà devant [nous ; à] nous de poursuivre ou non certains chemins d’innovation, de les encadrer, d’ouvrir ou non certaines possibilités qui nous sont offertes.

Juste avant, la Science prend pour la seconde fois la figure de Prométhée :

C’est prométhéen dans ce que cela comporte d’ambivalence –– c’est une responsabilité énorme d’avoir dans notre main cette possibilité de le faire.

C’est en effet dans sa main tenant une tige de narthex, que Prométhée apporte le feu aux hommes après l’avoir dérobé à Zeus qui le leur avait caché8. Emmanuel Macron, semble apprécier l’ambiguïté convoyée par le mythe puisqu’il y revient, souhaitant que « cette utopie prométhéenne ne devienne pas une dystopie ». La figure de Prométhée désigne moins la Science abstraite que celle du Savant, homme d’expérimentation, et du Politique, homme d’action, éminents intermédiaires forcément (au moins un peu) dévoués au « bien commun », à condition que cela aille vitre, très vite, encore plus vite :

Cette capacité justement à diffuser l’expérimentation, l’innovation au cœur même de l’action de l’État est un élément essentiel pour réussir ce pari de l’intelligence artificielle, qui est d’abord et avant tout, un pari sur l’intelligence humaine, la capacité à former, à faire de la Recherche, à aller plus vite dans celle-ci, à pouvoir expérimenter beaucoup plus rapidement.

Cette main qui agit, cette main qui opère, encore aujourd’hui, n’est pas elle de l’homme mais celle de l’État et de la Recherche :

Autrement dit nous devons tenir d’une seule main […] le progrès technique et le progrès humain, la transformation économique et la transformation sociale […]

L’optimisme présidentiel est sans limite : son « utopie prométhéenne » consiste rien moins qu’à réunir « progrès technique » et « progrès humain », et ce « très rapidement », grâce à l’« accélération, justement, de nos innovations et de l’avancée en matière d’intelligence artificielle ». Ce faisant, il s’oppose à l’optimisme de Gilbert Simondon qui acceptait d’envisager la possibilité d’un progrès technique couplé à un progrès humain à condition que « ce progrès [soit] beaucoup plus lent en chaque point et beaucoup plus profond en sa totalité ». Le philosophe de la technique reconnaissait qu’un tel progrès cumulé serait cause de la « transform[ation] de toutes les conditions de la vie humaine, augmentant l’échange de causalité entre ce que l’homme produit et ce qu’il est » :

le vrai progrès technique pourrait être considéré comme impliquant un progrès humain s’il avait une structure en réseau, les mailles de ce réseau étant la réalité humaine ; mais alors il ne serait plus seulement un ensemble de concrétisation objectives. Pour que le progrès technique soit autorégulateur, il faut qu’il soit un progrès d’ensemble, ce qui signifie que chaque domaine d’activité humaine employant des techniques doit être en communication représentative et normative avec tous les autres domaines ; ce progrès sera alors de type organique et fera partie de l’évolution spécifique de l’homme.9

Face à une prospective aux accents theilardiens, Simondon reconnaissait que « cette conclusion [pouvait] paraître bien illusoire ». Pour Emmanuel Macron, qui identifie progrès et transformation, elle est promesse qu’il faut faire advenir :

Je ferai tout pour que […] l’on pense […] cette transformation, pour qu’on pense l’intelligence artificielle.

Nous sommes assurés que « l’État [interviendra] en soutien résolu aux acteurs de cette transformation », à commencer par ceux qui œuvrent dans le domaine de la santé dont la « transformation […] absolument radicale […] va toucher tous les secteurs de la médecine ». Devant cette transformation, il ne s’agit pas de juger, encore moins de s’opposer, mais de suivre, de courir au rythme effréné de l’Innovation, d’accélérer l’assimilation au-delà des limites du convenable dans ce qui ressemble à une version 2.0 de la Grande Bouffe :

parce qu’il y a une phase de digestion démocratique qui va avec les usages de toute la population ou en tout cas d’une large majorité et l’accélération de nos technologies.

My concern is that there is a disconnect between the speediness of innovation and some practices, and the time for digestion for a lot of people in our democracies. I have to build a sort of reciprocal or mutual trust coming from researchers, private players, startups, and my citizens.10

Avec le thème de la confiance/méfiance, le lecteur du rapport, et plus encore l’auditeur des discours de la journée, relève plusieurs termes qui appartiennent au champ syntaxique de la peur. Emmanuel Macron reconnaît, face à la possibilité offerte par l’IA à l’humanité, que

quiconque ne ressentirait pas une forme de peur ou ne redouterait pas cette possibilité pourrait légitiment être jugé inconscient.

Mais une telle peur, « chacun la considère au moment où [cette possibilité] lui est offerte », c’est-à-dire l’espace d’un instant, sans jamais y revenir. Cette peur n’est que l’« effroi légitime » du funambule qui s’apprête à franchir l’abîme sur sa corde. Elle ne dure pas, elle ne doit pas durer, car si elle s’installe, l’exploit n’aura pas lieu, l’action sera bloquée, rien ne se produira :

il nous faut d’abord ne pas céder à ce qui a parfois été un tropisme européen (et je dirai presque souvent un tropisme français) qui est que la conscience parfaite et aiguë de tous les effets non souhaitables d’une innovation puissent nous conduire à la refuser de prime abord. Nous avons parfois ce défaut, nous l’avons eu dans notre vie industrielle ou d’innovation récente, il ne faut pas y céder.

Donc : taire la voix de la « conscience parfaite et aiguë », quel que soit le prix « de tous les effets non souhaitables ». Ce faisant, la pensée du Président à l’égard des investisseurs « premiers de cordée »11 se retrouve dans le discours de Zarathoustra aux Hommes supérieurs :

L’homme est une corde tendue entre la bête et le Surhumain – une corde au-dessus de l’abîme.
Danger de franchir l’abîme – danger de suivre cette route – danger de rechercher en arrière – danger d’être saisi d’effroi et de s’arrêter court ! La grandeur de l’Homme, c’est qu’il est un pont et non un terme ; ce qu’on peut aimer chez l’Homme, c’est qu’il est transition et perdition. […] J’aime celui qui œuvre et invente afin de bâtir un jour au Surhumain sa demeure et d’aménager pour sa venue la terre, l’animal et la plante ; c’est ainsi qu’à sa façon il veut sa propre perte. […] Avez-vous du courage, ô mes frères ? […] Celui qui a du courage, c’est celui qui connaît la peur, mais qui dompte la peur, qui voit l’abîme, mais qui est en fier. Quiconque voit l’abîme, mais d’un œil d’aigle, quiconque étreint l’abîme (den Abgrund fasst), mais dans des serres d’aigle, celui-là à du courage.12

 

La comparaison avec le texte de Nietzsche va plus loin. Les Hommes supérieurs sont une caste que Zarathoustra prend bien soin de distinguer de la « populace ». Au sujet de cette dernière, il confie à ses disciples :

Soyez prudents surtout, Hommes supérieurs [et] tenez vos raisons secrètes. Car l’heure présente est celle de la populace.
Ce que la populace a appris à croire sans raison, comment pourrait-on le détruire par des raisons ?
Et sur la place publique, c’est par des gestes que l’on persuade les gens. Mais la populace se méfie des raisons.13

De même que les Hommes supérieurs doivent tenir leurs raisons secrètes envers la populace, de même les initiés de la nouvelle gnose, « les gens les plus talentueux [qui] pensent déjà le monde de demain ou d’après-demain » doivent savoir qu’il y a un « mais » fâcheux :

D’autres sont déjà beaucoup plus loin en avance mais il y a 20 % de notre population qui ne maîtrisent pas l’accès à ces technologies ou qui en ont peur et on ne peut pas construire des choix démocratiques éclairés si on reste dans cette situation […]

Et de fait, s’ils ne le savaient pas, ils le savent désormais puisqu’Emmanuel Macron reprend le propos de Mounir Mahjoubi qui introduisait la journée. La populace est méfiante, nous dit Nietzsche, elle a peur nous prévient Emmanuel Macron :

Aussi longtemps que nous ne verrons que les innovations technologiques qui détruisent des emplois dans les secteurs traditionnels localisés sur le terrain, ce sera une source d’effroi [pour nos concitoyens].

Or, devant la question de l’intelligence artificielle et du monde numérique qui vient :

Je crois que la première chose sur laquelle nous devons nous mettre d’accord c’est qu’il ne faut pas avoir peur et refuser le changement. D’abord, parce qu’il est à l’œuvre partout et parce qu’il peut conduire aussi au meilleur et à des innovations qui nous permettront de vivre mieux.

Le Président et son auditoire savent très bien que le « monde de demain » est déjà « à l’œuvre partout » et que c’est pour cela et cela seulement qu’il faut l’accueillir comme l’Homme supérieur « étreint l’abîme ». Emmanuel Macron, dans un entretien donné aux journalistes américains juste après son discours, utilisera un registre similaire et parlera (en parlant de lui-même) d’« embrasser » le changement et le « nouveau monde » qui vient afin de parvenir à convaincre les Français d’accepter à sa suite « le changement »14. Les Français sont semblables à la populace de Zarathoustra : pour les convaincre de « travailler avec les machines15, il faudra faire miroiter « des innovations qui nous permettrons de vivre mieux » :

Si nous voulons convaincre nos concitoyens que ces disruptions technologiques ne sont pas vecteur que d’un changement négatif et ne doivent pas nourrir que la peur, nous devons réussir à montrer par ces mêmes innovations qu’elles génèrent un bien-être pour eux quant à ces problèmes qu’elles ont engendrés.

Là est le levier qui soulève le monde sans effort, là est la carotte qui permet de supporter le bâton : le bien-être. Nietzsche avait déjà vu l’artifice :

Les esclaves, l’espèce « serve » — : il faut leur créer du bien-être16

Non pas le bonheur, Emmanuel Macron se garde bien de promettre une pareille chose17 ! Et si cela ne suffit pas, on le consolidera par le Chiffre. C’est ainsi que les « données de bien-être issues des objets connectés » permettront à l’IA de fournir des pré-diagnostics et une « aide à l’orientation dans le parcours de soin »18 — dit plus explicitement, on ajoute dans le lot une vie plus longue et de qualité :

Nous sommes en train, grâce à l’intelligence artificielle, d’aller vers des innovations qui permettront en effet de prévenir des pathologies, et donc d’en réduire le coût complet de manière drastique, qui vont aller vers de la médecine individuelle qui permettra là aussi de réduire les coûts, d’améliorer notre condition de vie, notre longévité, et la qualité de la vie !

Pourquoi donc promettre le bonheur alors qu’un bien-être durable et quantifiable suffit à éteindre toutes les réticences et taire tous les questionnements ? Et que penser d’un État qui, avec un tel discours sur les bienfaits de l’IA, promet également « les conditions d’un débat en permanence transparent et démocratique sur toutes les conséquences qui en découlent » ? Jacques Ellul, il y a plus d’un demi-siècle, prévenait que si « changement » il devait y avoir, ce devait être avant tout « un changement profond du citoyen » car

Tant que celui-ci n’est préoccupé que de sa sécurité, de la stabilité de sa vie, de l’accroissement de son bien-être, nous ne devons avoir aucune illusion, il ne trouvera nulle part la vertu nécessaire pour faire vivre la démocratie. Dans une société de consommateur, le citoyen réagira en consommateur. Le confort pèsera de plus en plus lourdement sur la potentialité d’une vie politique sérieuse, et la diminuera progressivement. Certains auteurs constatent avec satisfaction que l’accroissement du bien-être conduit à la libéralisation des régimes. En réalité, il conduit à l’indifférence politique du citoyen […]19

Un tel changement, évidemment, ne sera jamais encouragé par le pouvoir en place :

Plus l’État s’organise, les institutions se rationalisent, l’économie se planifie, et plu il devient indispensable d’éliminer l’homme politiquement majeur, indépendant, réfléchi, volontaire. On lui demande en réalité une autre majorité politique, à savoir la participation, l’adhésion, et à la rigueur la contestation dans les limites, dans le champ prédéterminé par les techniciens ou l’État. Mais quant à la maturité spécifique qui provoque le pouvoir de contestation radiale, il ne peut plus en être question.20
c’est le système le plus bottom up de la Terre la démocratie, parce que ce sont les gens qui décident. Et donc je crois qu’il faut permettre l’ancrage démocratique de cette évolution en en assurant donc les règles de transparence et de loyauté, mais en s’assurant aussi que cette tension entre un phénomène mondial et des préférences qui sont parfois nationales ou régionales soit préservée. Et donc nous allons rentrer aussi dans une phase où il nous faudra avoir ces débats démocratiques.

Et effectivement, Emmanuel Macron a bien conscience que l’assentiment de tous est « la clé » :

Il nous faut garder la confiance démocratique de cette innovation, c’est la clé. […] il nous faut aussi s’assurer que ces évolutions techniques ne viennent jamais corrompre la confiance démocratique parce que le jour où un président de la République ne pourra plus expliquer à ses concitoyens les conséquences d’une innovation qu’il aura permise, nous aurons un problème de confiance démocratique parce que les concitoyens diront : “Mais alors, qui décide ? Ça n’est donc plus vous, ce ne sont donc plus les gens que nous élisons démocratiquement ?”

Puisque l’État semble plus soucieux de préserver « la confiance démocratique » et de faciliter la « digestion démocratique » que la démocratie elle-même, on comprend qu’Emmanuel Macron félicite Cédric Villani pour son Rapport dans lequel est « donnée de l’intelligence artificielle une vision précise, débarrassée de préjugés anxiogènes mais responsable » – sachant qu’une telle vision, si elle n’était que « précise » et « responsable », pourrait bien s’opposer à l’action à tous crins tant l’association des deux ne va pas de soi :

Nous devons articuler la radicalité de choix et d’innovation profonde technologique, sociale, économique et la responsabilité de choix éthique.

Et c’est à ce niveau qu’intervient l’éthique – et la grande magie du pétard mouillé peut opérer. Sur ce point, un retour au Rapport Villani (p. 155) est éclairant :

La place de l’éthique dans le débat sur l’IA a pris aujourd’hui une importance telle qu’il paraît nécessaire d’instaurer, dans un cadre institutionnel, un Comité consultatif national d’éthique pour les technologies numériques et l’intelligence artificielle. Une telle instance pourrait être créée sur le modèle du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui existe depuis 1983 pour la science de la vie et de santé. Distinctes, ces deux institutions pourraient néanmoins être amenées à étudier et rendre un avis conjoint sur les problématiques qui émergent au croisement de leurs champs d’expertise, pour ce qui touche au transhumanisme, au biohacking ou au traitement par l’IA des données de santé, par exemple. Les deux comités pourraient d’ailleurs avoir un ou quelques membres en commun, étant entendu par ailleurs qu’il ne faut pas contraindre leur composition par des règles trop strictes.

Il faut lire les pages qui suivent, d’une naïveté (ou d’un cynisme) incroyable : on crée un comité pour qu’il valide les applications techniques dans tous les domaines. L’idée qu’un tel comité conseille d’arrêter le mouvement n’est pas envisagé puisque le mouvement est inéluctable. Pourquoi limiter l’AI puisque « l’IA est pour l’humanité » ? Pourquoi faut-il « poser un cadre éthique » dans le domaine de l’AI ? Parce que l’homme doit accéder à un supplément d’âme pour parvenir à maîtriser la puissance démultipliée ? Parce que l’homme doit limiter le champ d’application de l’AI au vu des ressources de plus en plus limitées dont elle est vorace ? Parce que l’homme doit limiter le champ d’application de l’AI s’il veut conserver un peu de liberté ?…. Le Rapport Villani ose aborder (timidement) certaines de ces questions21, mais rien de tout cela dans le discours d’Emmanuel Macron :

Et donc, quand on parle d’éthique et de choix politique sur l’intelligence artificielle, c’est justement de considérer qu’il y a un implicite derrière cette aventure qui est la nécessité de procéder à des choix profonds. […] nous avons un choix en termes de conflit entre les valeurs et la technique […] Le choix entre valeur et technique, c’est qu’aussi longtemps que la technique sert le bien commun, il y a peu de conflits. Les innovations de santé que j’évoquais, une start-up qui va permettre cette médecine prédictive individuelle, il n’y aura pas de sujet22. La tension éthique et le rapport à nos valeurs adviennent le jour où les acteurs qui l’utilisent ne respectent pas les valeurs collectives ou les préférences collectives qui sont les nôtres. […] Donc ce sujet, c’est que préexistent à ces choix techniques des choix en termes de valeur qu’il va nous falloir poser et constamment suivre. Ces valeurs sont celles que nous avons déjà commencé à explorer dans nos débats contemporains : le respect de la liberté individuelle, le respect de l’intimité et de ce qui relève justement de notre propre vie privée. Mais il y aura d’autres sujets de valeur qui seront posés où des préférences auront à s’exprimer et ceci devra être discuté pour en définir le cadre.

Car évidemment, avec le présupposé qui consiste à affirmer « qu’il ne faut pas […] refuser le changement » (présupposé différent de celui qui aurait consisté à dire « qu’il ne faut pas refuser systématiquement le changement »), on pouvait anticiper que « la responsabilité de choix éthique » serait des plus réduites. Et de fait, elle l’est, puisqu’il ne s’agit pas d’une réflexion éthique sur l’IA mais de poser des règles de déploiement de l’IA pour ne pas effrayer les citoyens quant à l’usage qui est fait des données qu’ils lui offrent volontairement. Lorsqu’il s’agit d’aborder « les valeurs collectives […] qui sont les nôtres », Emmanuel Macron ne trouve comme exemple que celles de la liberté individuelle et de la vie privée. Le scandale récent de la fuite des données personnelles des utilisateurs de Facebook suggère cet exemple, mais l’éthique de l’IA aurait-elle pour objectif principal de rendre l’humain « maître de ses données » ? Quelle éthique met-on en avant lorsqu’on réduit « les enjeux éthiques et politiques de l’intelligence artificielle » à une « une réflexion sur l’éthique de l’usage » de l’IA avant même d’envisager une réflexion sur l’éthique de son déploiement généralisé ? De quelle éthique parle-t-on lorsqu’on associe « valeurs » et « préférences » ? Rares sont les auditeurs respectueux qui auront perçu la référence, par Emmanuel Macron, à la prohairesis d’Aristote, que Paul Ricoeur traduit par « préférence raisonnable » et définit comme « la capacité de dire : ceci vaut mieux que cela et d’agir selon cette préférence »23, et ailleurs comme

le premier degré de la liberté : être capable non seulement de “souffrir”, de “subir” ses désirs, mais encore de les porter au langage en énonçant le caractère de désirabilité qui leur est propre et en soumettant au calcul des moyens et des fins l’enchaînement de l’action. Le désir n’est plus alors une simple “impression”, il est mis à distance, en position lointaine de fin, par rapport à l’ensemble des voies et des moyens, des obstacles et des instruments que l’action doit traverser pour “remplir” l’intention. Ce que l’on vient de décrire, avec les ressources de l’analyse du langage ordinaire, c’est ce que la phénoménologie de l’action, depuis Aristote jusqu’à nos jours, a appelé de différents noms. Aristote l’appelle la “préférence”. […] Ce que Kant appelle […] maxime ou principe pratique subjectif, c’est ce que tout le monde appelle intention dans laquelle on agit ; c’est aussi ce que, dans le cadre d’une autre philosophie, Aristote avait appelé “préférence”.24

Étant entendu que

La “préférence” concerne seulement les conditions psychologiques d’une recherche portant sur l’“excellence” (ainsi faudrait-il traduire le mot magnifique de ρετή plutôt que par “vertu”). Or la recherche sur l’excellence met [aussi] en jeu […] la promotion de la raison pratique, préfigurée chez Aristote par la figure de la vertu de “prudence” (phronèsis), qui est la sagesse même de l’action.25

Or, toujours selon Ricoeur

Il n’est pas sans intérêt de rappeler que, pour Aristote, la science architecturale […] qui enveloppe toutes ces considérations sur […] le rapport de la préférence à l’excellence, sur le règne de la prudence, s’appelle la “politique”.26

Mais alors, que penser d’une politique qui non seulement prône une éthique des désirs sans fonder explicitement celle-ci sur la vertu de prudence mais qui lui donne comme fin de produire un monde d’intelligence artificielle « adapté à nos défis contemporains » et conforme au « besoin aujourd’hui d’améliorer notre rapidité dans les délais » ? Que devient l’éthique lorsque seules comptent l’adaptation et la rapidité ? Le site de la Mission Villani propose un résumé du discours du Président de la République sur la place de l’éthique dans le développement et l’utilisation de l’intelligence artificielle :

3. Poser un cadre éthique L’intelligence artificielle fait parfois peur. Permettre le développement de l’IA nécessite de répondre aux enjeux qu’elle pose Le Président de la République s’engage à mettre de la transparence et de la loyauté au cœur des algorithmes. Un groupe international d’expert [sic] sur l’intelligence artificielle sera créé, sur le modèle du (GIEC). Son but : organiser une expertise mondiale indépendante. Ces deux enjeux (transparence et loyauté) seront l’objet de programmes d’éducation pour que nos futurs concitoyens soient formés à ces transformations.27

Ou, selon les mots du Président de la République :

Nous allons introduire aussi une formation à l’éthique liée au numérique parce que nous avons besoin aussi que nos futurs concitoyens soient formés à ces transformations.

Il faut donc poser un cadre éthique pour rassurer les quelques personnes qui auraient (parfois) peur et (con)former tous les futurs (con)citoyens aux transformations qui auront lieu, qu’ils le veuillent ou non. Les braves concitoyens n’auront plus peur lorsqu’ils sauront qu’ils sont protégés par « un groupe international d’experts » et qu’ils sont guidés par le Président de la République qui engage sa personne. Il est certain que, pour faire avaler la pilule du « nouveau monde », il est plus utile de « mettre de la transparence et de la loyauté au cœur des algorithmes » que de mettre de l’esprit critique et de la lucidité dans le cœur des citoyens.

À la vérité, une telle « éthique » voit sa signification s’inverser et devenir le prête-nom de la propagande, laquelle joue effectivement sur les « valeurs collectives » et les « préférences collectives », alors que l’éthique concerne fondamentalement l’homme, l’individu, le citoyen dans sa relation au prochain, à l’autre, au concitoyen. Or

la propagande substitue à cette relation une sorte d’état communiel, où chacun reste parfaitement solitaire tout en appartenant à une masse collective, et où il n’y a aucune intériorisation d’une loi mais comportements obtenus par une impulsion externe, et par une manipulation dont l’homme reste inconscient. Elle est donc en soi le contraire même de toute existence morale, et de ce fait […] elle ne peut en rien ni produire une éthique, ni être soumise à une éthique. Elle est l’inverse même de toute éthique possible.28

Notons qu’avec une éthique-propagande destinée à rassurer le consommateur d’IA autant qu’à l’assurer du maintien de ses droits, nous faisons suite au présupposé présidentiel, qui consistait à dire aux investisseurs, chercheurs et entrepreneurs dans le domaine de l’IA (ceux-là mêmes qui devront (r)assurer les citoyens dubitatifs par leur charte éthique) de refuser d’avoir peur :

Et donc il ne faut ni avoir peur ni être naïf mais définir ce chemin de crête qui nous permettra d’avoir une stratégie pour l’intelligence artificielle.

L’expression du « chemin de crête » est omniprésente dans les prises de paroles présidentielles : pas moins de six autres occurrences entre janvier et mai 201829. Autant d’occurrences donnent à croire que nous avons bien affaire, en la personne d’Emmanuel Macron, à Zarathoustra redivivus, ce prophète du surhomme qui ne peut vivre que dans les hauteurs, dans l’air le plus pur, après la révélation de l’impensable :

Hommes supérieurs […] ce Dieu est mort ! Hommes supérieurs, ce Dieu était votre pire danger. […] C’est maintenant enfin que va luire le grand Midi, que l’Homme supérieur va être – le maître. / […] Vous êtes épouvantés, votre cœur a le vertige ? Vous voyez s’ouvrir un abîme ? […] Allons, courage ! Hommes supérieurs. C’est à présent que la montagne de l’avenir humain va accoucher. Dieu est mort. Mais nous, nous voulons que le Surhumain vive30

Initialement, Emmanuel Macron reconnaissait la légitimité de l’effroi. Mais pour un instant seulement, qui précède le temps de l’action. Ce faisant, non seulement Emmanuel Macron reprend l’héritage de Zarathoustra :

La peur […] est l’exception chez nous. Mais le courage et l’esprit d’aventure, le goût de l’incertain et des prouesses inédites, le courage en un mot […] c’est cela qu’on appelle de nos jours […]31

mais il se présente en opposant déclaré de l’éthique de responsabilité de Hans Jonas, fondée justement sur l’heuristique de la peur32. Pour Emmanuel Macron, la réflexion éthique sur l’IA est

nécessairement postérieure à l’action (l’innovation, l’expérimentation, la disruption, la transformation, etc.), et donc postérieure au moment de l’effroi dont on a vu qu’il n’a pas le droit de durer pour que « les chemins d’innovation » soient empruntés.

En réalité, ce qu’Emmanuel Macron place sous le patronage de Prométhée – littéralement : « celui qui pense avant (d’agir) » ; i.e. le « prévoyant » – devrait être placé sous celui de son frère, Épiméthée – littéralement : « celui qui pense après (avoir agi) » ; i.e. l’« imprévoyant ». La volonté présidentielle force le retour à la vérité du cycle de Prométhée, aux « raisons secrètes » des dieux qui dépassent, peut-être, celle des Présidents et des Hommes supérieurs : dans la version la plus célèbre du mythe, Zeus, pour se venger des larcins de Prométhée en faveur des hommes (le blé et le feu), donne Pandore pour épouse à Épiméthée. Or Pandore – « celle qui a tous les dons », création des dieux à qui Hermès avait offert la curiosité en guise de qualité –, ne pourra s’empêcher d’ouvrir une jarre qu’un Zeus duplice lui avait confiée en lui interdisant d’en regarder son contenu et de laquelle sortiront tous les maux qui, depuis, accablent l’humanité.
Pandore était bien ce don pour Épiméthée, sa « boîte » étaient bien pour l’humanité…
Emmanuel Macron ne pouvait se permettre une telle lecture, qui l’aurait conduit à comparer chercheurs et autres « acteurs de cette transformation » à Épiméthée, et l’IA au καλὸν κακὸν, ce « si beau mal » qu’était Pandore selon Hésiode33.
Bien au contraire, il faut engendrer une « vision […] débarrassée de préjugés anxiogènes », par laquelle tout est désirable, même l’« utopie prométhéenne » de l’IA, même la prophétie de Zarathoustra, qui appelle la destruction de ses vœux :

Un nombre croissant d’entre vous périra, car il faut que la vie vous devienne de plus en plus dure et pénible. C’est ainsi seulement – — C’est ainsi seulement que l’homme grandit, atteint les hauteurs où la foudre le frappe et le brise : quand il est monté assez haut pour rencontrer l’éclair. […] Il ne me suffit pas qu’on ait rendu la foudre inoffensive. Je ne cherche point à la dévier, je veux lui apprendre à travailler pour moi.34

Or, c’est bien aussi le voeu caché d’Emmanuel Macron, au détour d’une erreur de grammaire :

Si nous arrivons, par l’intelligence artificielle et avec ces mêmes acteurs et les start-up qui en émergent, à montrer que nous savons très rapidement prévoir les destructions d’emplois à venir dans telle ou telle région, mais aussi celles qui vont émerger compte tenu des qualités et des qualifications présentes dans cette région, et réorienter notre système de formation et de formation continue, individualiser la formation pour permettre de retourner vers l’emploi – dispositifs qui existent d’ores et déjà technologiquement, il faut les déployer et les traduire dans nos politiques publiques –, nous changerons totalement le regard sur ces innovations, nous changerons totalement le rapport, la relation, l’expérience qui est faite par nos concitoyens avec l’intelligence artificielle.

Ainsi, si nous respectons le sens des mots, quelles que soit les « qualités » et « qualifications » présente dans une région, émergeront des « destructions d’emplois » même après « les destructions d’emplois à venir » : après ce qui vient viendra encore le même, la destruction ! Ou comment la destruction créatrice de Joseph Schumpeter devient la destruction perpétuelle d’Emmanuel Macron… Évidemment, ce n’est pas ce qui devait être dit, mais cela ressemble tout de même à ce qu’on est en droit de prévoir qu’il arrivera : une destruction d’emplois telle que seule demeurera comme activité d’occupation celle d’une « formation continue ».

Nouveau retour au Mythe de Prométhée : au fond de la jarre que Pandore a ouverte par curiosité, après que les maux de l’humanité en soient sortis, est demeuré… l’espoir35. La « formation continue » sera-t-elle l’unique espoir dans « l’expérience qui [sera] faite par nos concitoyens avec l’intelligence artificielle » ?

Et si l’utopie et la dystopie n’était qu’un seul et même monde ? Utopie pour les Hommes supérieurs, dystopie pour la populace ? Là encore, si les mots sont pris au sérieux, « l’IA pour l’humanité » n’est-il pas un titre jamais repris dans le discours présidentiel, lequel contient, à la place, de longs développements sur la nécessité d’« avoir une stratégie pour l’IA » ? Dit autrement, selon le grand prêtre, la question véritable n’est pas ce que la divinité peut pour l’humanité mais comment l’homme doit se comporter pour lui être agréable, afin d’être béni et non maudit par la Toute-Puissance – afin que Janus bifront, qu’« autrefois on […] appelait Chaos »36 ne nous montre que sa face bienveillante, celle qu’on appelle aujourd’hui « Pouvoir de demain 37.

Car enfin, avoir une « stratégie pour X », c’est avoir une « stratégie en faveur d’X » ainsi que nous l’a rappelé la ministre de la Culture Françoise Nyssen en engageant, le 17 novembre 2017, « stratégie pluriannuelle en faveur du patrimoine »38. Dit autrement, cela signifie que des hommes de pouvoir incitent les organisations et les concitoyens à se mettre au service de X pour le stimuler (stratégie pour l’emploi39), le préserver (le milieu marin40, la mer et le littoral41, la forêt42…), l’amplifier (stratégie pour l’enseignement des sciences à l’école43)…

Même trouble dans l’usage du mot « écosystème ». Alors que le Rapport Villani prend la peine d’aborder la question écologique, sur les 19 occurrences du terme dans le discours du Président de la République (« écosystème public français », écosystème des nanotechnologies, etc.), aucune ne doit être comprise comme relevant de l’écosystème du vivant et des espèces, mais toutes doivent être associées à celui des affaires et des territoires.

Le groupe Keyrus, « spécialiste de la Data Intelligence et du Digital dans les domaines de la gouvernance, du pilotage et de la transformation des organisations »44, a récemment rappelé que le concept d’écosystème était « le concept central » d’une « conception renouvelée de la nature profonde de la digitalisation », avec l’intelligence artificielle comme « nouveau vecteur de transformation des entreprises au sein d’un écosystème de plus en plus étendu »45. Et effectivement, il n’y a qu’un seul véritable écosystème dans le discours d’Emmanuel Macron, cet écosystème entrepreneurial très particulier qu’est « l’écosystème de l’intelligence artificielle ».

C’est ainsi que les mots d’écologie, d’environnement, de climat, de matériaux, de métaux rares, de déchets, d’énergie ne seront jamais prononcés ou mentionnés pour les contraintes qu’ils imposent. Lorsque le terme de « nature » est employé, c’est dans une optique non plus seulement prométhéenne mais carrément démiurgique :

Au fond, nous en revenons à une nouvelle étape très cartésienne de cette faculté d’être maître et possesseur de la nature et c’est dans cet équilibre qu’il faut toujours jouer et construire notre action.

Où l’on confond maîtrise des données et maîtrise de la nature, comme si le réel n’existait pas dans sa matérialité, comme si la puissance de l’intelligence artificielle s’auto-alimentait dans l’« écosystème » qu’elle définit, découplée du monde…

Le même groupe Keyrus, qui se dit conscient « de sa responsabilité environnemental et sociale »46 et affirme « agi[r] concrètement pour créer un monde plus juste et plus humain »47, s’est donc réjouit des prises de positions d’Emmanuel Macron. Comment faire autrement lorsque le Président de la République semble être son porte-parole ?48 Il a, depuis, aimablement produit une infographie49 destinée à clarifier, s’il était besoin, la compréhension qu’on pourrait avoir du concept d’« écosystème de l’intelligence artificielle » :

 

ii

Tout ça – le génie, la Science, les mythes, la philosophie, l’éthique – pour ça : « un marché qui vaut de l’or », quelques-uns qui se gavent de dollars pendant que la populace se gave de bien-être – et que le monde, séquencé, calculé, stocké, digitalisé, scanné, interfacé, amélioré, connecté, augmenté – dépérit – non plus à petit feu mais à marche forcée.

Finalement, face à une religion qui a désormais son Église50, il reste à convoquer Nietzsche, à nouveau, pour lui laisser l’occasion de répondre aux détournements de sa pensée :

Mais soudain les oreilles de Zarathoustra furent épouvantées, car la caverne jusqu’alors pleine de tumulte et de rires s’emplit tout à coup d’un silence de mort ; mais ses narines captaient une vapeur odoriférante et un encens qui semblait provenir de la combustion de pommes de pin.
“Qu’arrive-t-il ? Que font-ils ?” se demanda-t-il en se rapprochant en tapinois de l’entrée, de façon à voir sans être vu de ses hôtes. Mais miracle sur miracle ! Que lui fallut-il alors voir de ses yeux !
“Ils sont tous devenus pieux ; ils prient, ils sont fous !” dit-il au comble de sa surprise. Et en effet, tus ces Hommes supérieurs, les deux Rois, le Pape en disponibilité, le méchant Enchanteur, le Mendiant volontaire, le Voyageur ou l’Ombre, le vieux Prophète, le Scrupuleux de l’Esprit, l’Homme Hideux, tous étaient agenouillés comme des enfants ou de vieilles dévotes, et adoraient l’âne. Et justement l’Homme Hideux commençait à gargouiller et à s’ébrouer comme si des choses ineffables cherchaient à jaillir de lui ; mais quand il parvint à articuler quelques paroles, voici, c’était une étrange et pieuse litanie à la louange de l’âne, adoré et encensé. Et voici cette litanie :
Amen ! Louange, honneur, sagesse, reconnaissance gloire et force à notre Dieu, d’éternité en éternité ! –
Et l’âne de répondre I-A ! [Der Esel aber schrie dazu I-A.]51
Il porte nos fardeaux, il a pris la forme d’un serviteur ; il est humble de cœur et ne dit jamais non […]
– Et l’âne de répondre I-A ! [Der Esel aber schrie dazu I-A.]
Il ne parle pas, sauf pour approuver toujours le monde qu’il a créé […]
– Et l’âne de répondre I-A ! [Der Esel aber schrie dazu I-A.]
Il passe inaperçu dans le monde. Grise est la couleur favorite dont il revêt sa vertu. S’il a de l’esprit, il le cache ; mais tout le monde croit à ses longues oreilles.
– Et l’âne de répondre I-A ! [Der Esel aber schrie dazu I-A.] Que de sagesse cachée dans ces longues oreilles et dans cette décision de dire toujours oui et jamais non ! N’a-t-il pas créé le monde à son image, bête au possible ?
– Et l’âne de répondre I-A ! [Der Esel aber schrie dazu I-A.]
Que tu suives des chemins droits ou tortueux, peu t’importe ce qui nous semble droit ou tortueux, à nous autres hommes. […]
– Et l’âne de répondre I-A ! [Der Esel aber schrie dazu I-A.]
Voici, tu ne repousses personne, ni mendiants ni rois. Tu laisses venir à toi les petits enfants et quand les méchants garnements te font des avances, tu réponds simplement : I-A !
– Et l’âne de répondre I-A ! [Der Esel aber schrie dazu I-A].52

Annexe

 

Emmanuel Macron ne fait qu’accélérer sur des voies tracées avant lui. Le Rapport Villani et le discours présidentiel s’inspirent fortement du « Rapport de synthèse » de #FranceIA remis en mars 2017 au Président de la République François Hollande :

« Les craintes suscitées par l’irruption de solutions logicielles et robotiques avancées à même de remplacer, au moins partiellement, des opérateurs humains, dans certains secteurs fortement pourvoyeurs d’emplois, doivent être surmontées au profit d’une réflexion plus générale sur l’incidence de ce phénomène sur l’évolution des processus métier, des organisations, des profils de poste et des compétences. Le consensus semble acquis sur le fait que les systèmes automatisés de traitement des interactions avec l’utilisateur requerront, au moins durablement, une assistance humaine pour pouvoir offrir une expérience satisfaisante (prise de relais de l’agent virtuel lorsqu’il atteint ses limites selon le principe d’escalade et actions concourant à son bon fonctionnement dont l’apprentissage). Les agents virtuels comme les robots physiques peuvent d’ailleurs être utilisés non pas en remplacement de conseillers mais en amont, en appui et en complément. Face à une mutation inéluctable, la stratégie gagnante consiste à accélérer la généralisation des systèmes intelligents et à miser sur les nouveaux emplois directs (conception, fabrication, mise en service et maintenance des solutions) et indirects (exploitation des outils et analyse et gestion des données) susceptibles d’être créés en France. L’anticipation de l’évolution des qualifications recherchées doit intervenir au plus tôt pour maximiser les retombées sur le sol national. Une communication est à prévoir pour contrer les messages alarmistes sur les effets destructeurs sur l’emploi du développement de l’intelligence artificielle. »53

ainsi que de l’éditorial du Président de la République au dossier de presse « la Stratégie IA en France » du 21 mars 2017 :

« Peu de technologies mobilisent autant notre imaginaire que l’intelligence artificielle. Thème privilégié de nombreuses œuvres de Science-Fiction, la perspective de créer un jour des machines réellement intelligentes, capables d’exécuter d’elles-mêmes des tâches de plus en plus complexes et variées, convoque chez chacun d’entre nous une mythologie ambivalente : de l’utopie d’un avenir radieux pour une humanité libérée des tâches les plus harassantes, aux craintes suscitées par les robots tueurs, en passant par le fantasme d’un au-delà de l’Homme, les promesses les plus radieuses pour notre avenir collectif côtoient les angoisses les plus profondes quant aux mésusages qui pourraient découler de ces technologies.

Or nous vivons aujourd’hui une période historique, où cet imaginaire promet de se confronter, sans doute plus vite que nous ne l’aurions cru il y a peu, avec le réel. Aujourd’hui en plein essor, l’intelligence artificielle promet de transformer radicalement nos modes de vie : véhicule autonome, médecine prédictive, aide à la décision dans l’univers professionnel, systèmes de sécurité intelligents, assistants personnels et robots de compagnie…on peine aujourd’hui à embrasser l’étendue du champ d’application des découvertes réalisées par de nombreuses équipes de chercheurs.

La France bénéficie d’atouts exceptionnels dans ce secteur, à commencer par une offre de formation de qualité. Les écosystèmes particulièrement dynamiques de la French Tech, comme nos grands groupes industriels, représentent également des débouchés naturels pour les transferts d’innovation en intelligence artificielle. Enfin, nous disposons d’un cadre législatif et réglementaire favorable à la production, à la diffusion et à la circulation des données qui sont le carburant indispensable au développement de l’intelligence artificielle.

L’enjeu stratégique de France IA est de ne pas se contenter du statut de consommateur captif d’innovations conçues et valorisées ailleurs, mais faire de notre pays un producteur incontournable qui contribuera à dessiner le futur visage de l’intelligence artificielle, et donc celui du monde qui vient.

Les défis identifiés par les groupes de travail de France IA depuis deux mois sont nombreux : comment construire davantage de passerelles entre le monde de la recherche et nos entreprises — startups et grands groupes- afin de permettre le transfert de ces innovations dans notre économie ? Comment promouvoir et financer des projets d’ampleur qui convainquent nos meilleurs chercheurs de rester dans notre pays ? Quel cadre légal et réglementaire développer pour promouvoir le développement d’applications respectueuses de nos données personnelles, de notre cadre social et de notre modèle de société ? Comment informer et préparer l’ensemble de nos concitoyens à bénéficier au mieux des opportunités nouvelles offertes par ces technologies ?

C’est à l’ensemble de ces questions que la stratégie France IA, présentée aujourd’hui, se propose d’apporter de premières réponses. Je suis convaincu que ce travail collectif sera un outil précieux d’élaboration des politiques publiques.

Nous n’avons pas le temps d’attendre. De nombreux pays, dans le monde entier, misent aujourd’hui sur ces technologies d’avenir. Mettons toutes nos forces dans ce pari de construire un modèle français de l’intelligence artificielle. »54

 

Notes

  1. https ://www.aiforhumanity.fr/pdfs/9782111457089_Rapport_Villani_accessible.pdf

2. Les interventions de la journée sont disponibles en ligne : https://youtu.be/rX1XbyNBdaE

3 . https://www.aiforhumanity.fr

4. « AI will be the best or worst thing ever for humanity, so let’s get it right. » Remarquons au passage l’évolution de l’entrepreneur qui, trois ans plus tôt, jugeait l’Intelligence Artificielle comme « la plus grandes des menaces existentielles » pour l’homme (« I think we should be very careful about artificial intelligence. If I had to guess at what our biggest existential threat is, it’s probably that. […] With artificial intelligence we are summoning the demon », MIT Aeronautics and Astronautics Centennial Symposium, 24 octobre 2014).

5. https://www.aiforhumanity.fr/pdfs/MissionVillani_Presse_FR-VF.pdf

6. Jacques de Senarclens, Dieu avec nous. La personne et l’œuvre de Jésus-Christ, Labor et Fides, 1972, p. 169. Cf. aussi le la conférence de Karl Barth, Dieu pour nous.

7. Sauf indication contraire, les citations qui suivent sont tirées du discours du Président de la République, disponible sur le site de l’Élysée : http://www.elysee.fr/declarations/article/transcription-du-discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-sur-l-intelligence-artificielle/

8. Hésiode, Théogonie, Les Travaux et les Jours.

9. Gilbert Simondon, « Les limites du progrès humain », in  :Revue de métaphysique et de morale (1959), repris dans Gilbert Simondon. Une pensée de l’individuation et de la technique, Albin Michel, 2014.

10. Entretien donné à Wired, publié le 31/03/2018 https://www.wired.com/story/emmanuel-macron-talks-to-wired-about-frances-ai-strategy/

11. Emmanuel Macron à TFI (15/10/17). Cf. la partie du discours au Collègue de France concernant les investisseurs privés (l’« écosystème est là. Il a d’ailleurs convaincu certains qui le connaissaient bien de revenir ou d’investir en France ces dernières années, je pense en particulier à FACEBOOK, GOOGLE, SAMSUNG, DEEPMIND, je remercie pour leur confiance parce qu’ils ont permis de fertiliser cet écosystème. C’est à cette excellence que nous devons les annonces d’implantations de ce jour, les centres de recherche de SAMSUNG, FUJITSU, IBM, DEEPMIND venant rejoindre ceux de GOOGLE ou FACEBOOK vont contribuer à créer en France un maillage de compétences, de laboratoires, d’expérimentations au meilleur niveau mondial, ce qui est un atout formidable. ») et les investisseurs publics (l’État, l’Europe) : « L’intelligence artificielle sera le premier champ d’application du Fonds pour l’Innovation et l’Industrie de 10 milliards d’euros, mis en place en début d’année. Sur les revenus de ce Fonds, copiloté par le ministre de l’Économie et des Finances, et la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, nous isolerons dès les prochains mois, 100 millions d’euros destinés à l’amorçage et la croissance de nos start-up en intelligence artificielle. Au-delà, il consacrera 70 millions d’euros par an, via la Banque Publique d’Investissement, à l’émergence de start-up dites “deep technology” dans notre pays. / Des financements du Programme d’investissement d’avenir et du Fonds pour l’Innovation et l’industrie, à hauteur de 400 millions d’euros, seront consacrés au financement des défis d’innovation, à la fois amont et aval, ou à des projets industriels dédiés à l’intelligence artificielle. Au total, ce sera un effort dédié de 1,5 milliard d’euros d’argent public, entraînant directement plus de 500 millions d’euros d’investissements privés supplémentaires, qui sera mis en œuvre pour accompagner l’émergence de ce grand pôle mondial de l’intelligence artificielle./ La clé, au-delà de ces choix assumés de politiques publiques, c’est évidemment que ces choix et que la visibilité soient donnés très tôt à la Recherche publique et partenariale, qu’elle puisse ainsi déclencher les choix de Recherche collaborative et d’investissements privés, pour avoir l’effet de démultiplication, derrière ces investissements et ces choix publics. / J’ajoute à cet effort près de 800 millions d’euros que l’État investira d’ici 2024 dans la nanoélectronique, ingrédient essentiel au développement de l’intelligence artificielle […]. / Au-delà de ces choix français, c’est le prochain cadre financier européen qui devra porter cette ambition de l’intelligence artificielle, et Monsieur le Commissaire, vous savez que la France sera en soutien de vos propositions. Je considère que nous avons besoin d’un budget européen qui préserve toute l’ambition de ces politiques historiques, qu’il s’agisse de la PAC ou des fonds structurels, mais qui porte une ambition nouvelle en particulier en matière d’innovation et d’innovation de rupture. »

12. Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue, p. 50-51 ; IV, « De l’homme supérieur », §4, op. cit., p. 347.

13. Ainsi parlait Zarathoustra, IV, « De l’homme supérieur », §9, op. cit., p. 349.

14. Entretien donné à Wired, op. cit. : « I can convince my country about change precisely because I embrace it. My role is not to block this change, but to be able to train or retrain people for them to get opportunities in this new world. »

15. Ibid.

16. Fragment d’Ainsi parlait Zarathoustra, §22 https://fr.wikisource.org/wiki/Pour_l’interprétation_de_Zarathoustra.

17. Devant la Fédération Protestante de France (27/02/2017) : « Je ne promets ni le bonheur, ni la transcendance. Je laisse cela aux religions. Autrement, ce seraient des projets totalitaires. »

18. Rapoort Villani, p. 34.

19. Jacques Ellul, L’Illusion politique, 1965, Paris, Robert Laffont, p. 228.

20. Ibid, p. 162.

21. Cf. en particulier l’excursus « La réalité écologique de la révolution industrielle numérique », p. 123

22. Puisque c’est le Président de la République qui le dit !

23. Cf. Paul Ricoeur, « De la morale à l’éthique et aux éthiques », in : le Juste 2, Paris, Esprit, 2001, p. 55-68.

24. Paul Ricoeur, « La liberté », in : Anthropologie philosophique. Écrits et conférence 3, Paris, Seuil, p. 210-212.

25. Paul Ricoeur, ibid., p. 218.

26. Paul Ricoeur, ibid.

27. https ://www.aiforhumanity.fr

28. Jacques Ellul, « La propagande, l’innocence et l’amoralité » (inédit).

29. On la retrouve à propos de l’État de droit et de la démocratie (conférence de presse du 05/01/18), de la question migratoire (conf. de presse du 12/01/18 et aux journalistes de la Croix le 16/01/18), de l’école laïque (09/03/18, 33e dîner annuel du CRIF), de la distinction entre religions et radicalisations (23/05/18, « La France, une chance pour chacun »), de la question d’un remaniement ministériel (31/05/18)..

30. Ainsi parlait Zarathoustra, IV, « De l’homme supérieur », GF Flammarion n° 881, p. 345-346 [je souligne pour les deux premières expressions].

31. Ainsi parlait Zarathoustra, IV, « De la science », op. cit., p. 363.

32. Cf. Hans Honas, le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique [1979], Paris, le Cerf, 1990, p. 300-302 : « La peur qui fait essentiellement partie de la responsabilité n’est pas celle qui déconseille d’agir, mais celle qui invite à agir […]. La peur elle-même devient donc la première obligation préliminaire d’une éthique de la responsabilité historique. […] La crainte est une obligation, ce qu’elle ne peut naturellement être ensemble qu’avec l’espérance (à savoir celle d’éviter le pire) : une peur fondée, non la pusillanimité. » – Le discours d’Emmanuel Macron a dû rassurer ces spécialistes de l’entreprise et de l’innovation technique qui estiment que le Rapport Villani n’aurait pas dû traiter la question par trop inhibitrice de l’« éthique » ! Ainsi, pour Olivier Ezratty il ne faut « pas en faire trop sur le principe de précaution de l’IA. Cela alimente les peurs. Un pays qui a trop peur ne peut pas innover. L’éthique de l’IA est traitée trop tôt compte tenu de sa maturité. Il faut laisser les innovateurs innover » ; heureusement, le Rapport ne fait que proposer et le Politique agit : « L’intervention du Président de la République lui permettait en tout cas de présenter un plan gouvernemental de l’IA synchrone avec la publication du Rapport Villani. Il était même un peu plus hardi et ambitieux dans le propos. L’exécutif a bien la main ! C’est une approche qui illustre le lien étroit entre le législatif et l’exécutif dans le pays » (30/03/2018). – idem pour son comparse, Philippe Silberzhan : « En plaçant l’IA au service de l’éthique, le rapport commet donc deux erreurs : d’une part il ne se donne aucune chance de penser l’éthique de l’IA correctement, car nous penserons dans le vide – nous ne pourrons penser qu’en faisant, et d’autre part il condamne la France à regarder les autres danser depuis le balcon. Antoine Petit, le patron du CNRS lors de la conférence AI For Humanity où était présenté le rapport Villani, nous invitait ainsi à éviter un écueil : “Ne pas devenir les spécialistes de l’éthique tandis que les Chinois et les Américains deviennent des spécialistes du business” » (02/04/2018).

33. Cf. Hésiode, Théogonie, vv. 570-612 ; l’expression « ce mal si beau à la place d’un bien » (καλόν κακόν άντ’ άγαθοϊο) se lit aux vers 585 et 602.

34. Ainsi parlait Zarathoustra, IV, « De l’homme supérieur », §6, op. cit., p. 348.

35. Hésiode, les Travaux et les Jours.

36. Ovide, les Fastes, I.

37. Rapport Villani, p. 11 : « Elle [l’IA] va devenir une des clés du monde à venir. En effet nous sommes dans un monde numérique, de plus en plus, de part en part. Un monde de données. Ces données qui sont au cœur du fonctionnement des intelligences artificielles actuelles. […] L’intelligence artificielle est donc une des clés du pouvoir de demain dans un monde numérique. »

38. Cf. http://www.culture.gouv.fr/Presse/Discours/Discours-de-Francoise-Nyssen-prononce-a-l-occasion-de-la-presentation-de-la-strategie-pluriannuelle-en-faveur-du-patrimoine. Dans son discours, Françoise Nyssen précise que le troisième enjeu de « cette stratégie pour le patrimoine » est « une responsabilité en matière de transmission numérique. Nous devons soutenir les technologies qui révolutionnent les expériences de visite et qui élargissent encore l’accessibilité du patrimoine, en abattant les barrières géographiques. Je pense, par exemple, à la réalité augmentée. Vous avez tous déjà été confrontés à des exemples de réalité augmentée : l’on peut vraiment faire vivre un patrimoine dans sa totalité, alors que l’on n’y a plus accès, y compris des patrimoines détruits. Raconter des histoires à travers cette réalité augmentée est une chance inouïe. » Le lecteur ou l’auditeur attentif aura remarqué que, pour Emmanuel Macron comme pour Françoise Nyssen, la « chance inouïe » de l’homme est celle qui consiste à vivre, grâce à la « technologie », dans une réalité calculée ou augmentée.

39. Cf. la job strategy de l’OCDE pour l’emploi
http://www.oecd.org/employment/jobs-strategy/

40. Cf. le Directive 2008/56/CE du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 établissant un cadre d’action communautaire dans le domaine de la politique pour le milieu marin appelée directive-cadre «stratégie pour le milieu marin» https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM%3Al28164.

41. https://fr.wikipedia.org/wiki/Stratégie_nationale_pour_la_mer_et_le_littoral

42. http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0109+0+DOC+XML+V0//FR

43. https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-scientifique/veille-scientifique-et-technologique/irlande/article/une-nouvelle-strategie-pour-l-enseignement-des-sciences-a-l-ecole

44. http://www.keyrus.fr/fr/a-propos-de-keyrus/.

45. Keyrus, « Document de référence 2017 », p. 51 http://www.keyrus.fr/fr/post/?post_pk=5316. À la même page sont décrits les éléments (comment les qualifier autrement ?) de l’écosystème entrepreneurial augmenté par l’IA qui a vocation à être « de plus en plus étendu » : (1) « les clients, et les indissociables interactions multicanaux nécessaires à leur acquisition et leur rétention au sein d’un monde résolument phygital » ; (2) « les partenaires et fournisseurs, auxquels s’est associé un besoin croissant d’optimisation et d’agilité de la relation à travers le développement d’API’s, voire de contrats intelligents à travers le modèle de la blockchain » ; (3) « les collaborateurs et les modes de fonctionnement de l’entreprise, dont la performance ne peut être maîtrisée qu’à travers l’existence de systèmes d’informations performants dotés de capacités analytiques appropriées » ; (4) « les objets connectés, prolongation de l’entreprise au sein de son écosystème étendu, nouvelle interface sur le monde, nouvelle source de données et gisement abondant de nouveaux modèles business ».

46. Keyrus, « Document de référence 2017 », p. 184.

47. Keyrus, « Document de référence 2017 », p. 183.

48. Keyrus, « Intelligence Artificielle : Une année décisive pour le France » (26/03/18) : « Ces six derniers mois, l’optimisme et la confiance ont donné naissance à plusieurs initiatives françaises destinées à faciliter et à promouvoir le développement de l’Intelligence Artificielle. Il faut s’en réjouir car elles participent très directement à la construction d’un écosystème national de l’IA adapté aux défis que notre économie devra relever. »

49. Keyrus, « L’écosystème de l’Intelligence Artificielle – Juillet 2018 » (10/07/18).

50. « La Voie du Futur » est l’Église fondée par Anthony Levandowski (ingénieur en intelligence artificielle et co-créateur de la voiture autonome) dont la doctrine repose sur « la réalisation, l’acceptation et l’adoration d’une divinité fondée sur l’Intelligence Artificielle (IA) développée grâce à l’informatique et aux logiciels » https://www.la-croix.com/Religion/nouvelle-religion-fondee-lintelligence-artificielle-suscite-inquietudes-2017-10-05-1200882222

51. http://gutenberg.spiegel.de/buch/-3248/89

52. Ainsi parlait Zarathoustra, IV, « Le Réveil », §2, op. cit., p. 371-372.

53. #France IA, Rapport de synthèse (Conclusions complètes des groupes de travail), p. 215, à l’occasion de la Journée de l’IA, le 21 mars 2017, à la Cité des Sciences et de l’Industrie, sous la présidence de François Hollande https://www.economie.gouv.fr/evenement-france-ia.

54. https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2017/Dossier_presse_France_IA.pdf.

 

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