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Collectif Lieux communs
Questions à la décroissance
(Ce texte était destiné à paraître dans le n° 3 de la revue La Gueule ouverte (nouvelle formule), prévu pour décembre 2018 et resté en suspens…
Les notes, entre crochets, ont été rajoutées.)
Mise en ligne le 5 septembre 2019
sur le site du collectif Lieux communs
Le terme de décroissance a progressivement gagné en popularité, au point d’être aujourd’hui entré dans le langage courant. Mais ce succès d’estime masque un piétinement, déjà ancien, dans sa définition, ses fondements, ses objectifs et sa finalité. L’apparente diversité des groupes qui s’en réclament témoigne plus d’un éparpillement que d’un dynamisme collectif. Il va sans dire que cette situation démultiplie le profond sentiment d’impuissance que provoque le délabrement civilisationnel en cours. Si celui-ci nous dépasse infiniment, il est par contre à notre mesure de tenter d’ouvrir, ou de rouvrir, les chantiers, les débats, les questionnements, qui devraient structurer les milieux et les individus qui peuplent la décroissance. Les quelques points qui suivent s’essaient à les formuler comme autant d’interrogations grandes ouvertes, nullement simples.
1. Décroissance et politique
On a beaucoup glosé sur le terme même de « décroissance » (ou de ses variantes : « a-croissance », « post-croissance », etc.), qui paraît avoir donné un nouveau souffle à une « écologie politique » restée à l’état de promesse. Mais ce « mot-obus » n’a d’impact que parce qu’il prend sciemment l’exact contre-pied du discours économique ambiant et, au fond, n’a pas dépassé le stade de la provocation. La plupart des courants décroissants, quoi qu’ils en disent et dans la veine des prétendus « anti-capitalistes », restent strictement sur le terrain économiste, qu’ils ne quittent que pour des discours très généraux.
Ils en reprennent logiquement les travers, c’est-à-dire en reconduisant tacitement la mythologie et les postulats, dont le principal, la primauté de l’économique sur le politique. Ce fourvoiement est par exemple visible dans leur proximité avec les discours sur la pseudo- « critique de la valeur » (en fait des métaphysiciens du Capital), dans les discussions autour du « revenu d’existence », ou encore dans les références ou le vocabulaire. Ainsi, on parle volontiers d’« éco-socialisme » ou de « décolonisation de l’imaginaire », sans comprendre, semble-t-il, que le socialisme historique a été une suite d’échecs retentissants et que les décolonisations n’ont fondamentalement rien apporté, au regard des espérances tiers-mondistes, y compris et surtout du point de vue écologique.
L’absence de dimension politique de la décroissance saute aux yeux lorsqu’il est question du projet de société. Soit celui-ci est totalement inexistant (cf. la « collapsologie »), soit il reprend sans y penser les poncifs gauchistes. Dans le meilleur des cas il rejoint différents courants évoquant la « démocratie directe » comme solution technique, sans voir qu’elle constitue plutôt un chantier titanesque que personne, ou si peu, semble vouloir entreprendre. Pourtant la transformation politique, sociale, anthropologique, existentielle que nous prônons pose immédiatement des problèmes de toute première grandeur : Qui décide de l’ampleur de la décroissance à effectuer ? Des secteurs à supprimer, à réduire, de ceux à créer ? Comment et à quelles échelles se prennent ces décisions en cascade concernant notamment la relocalisation de la production, la répartition des ressources, la gestion monétaire ? Comment organiser une société non industrielle ? Sous quels pouvoirs et selon quels principes placer la direction de la recherche technique et scientifique ? etc.
Ces questions, et tant d’autres, sont des friches abandonnées. En se refusant à réellement les travailler, donc à chercher à se définir politiquement, c’est-à-dire en dehors des cadres idéologiques préconçus, la décroissance se condamne à l’inconsistance. Elle renonce à ses propres exigences, celles que nous dicte l’époque, et se résigne ainsi à être éternellement assimilable à une vaine dissidence gauchiste et tiers-mondiste, autrement dit faire-valoir des menées oligarchiques [1].
2. Décroissance et austérité
Car jusqu’ici l’« écologie politique » ne semble pas parvenue à articuler une approche singulière dans le grand chassé-croisé de ce XXe siècle qui n’en finit pas : soit épauler la « gauche » contestataire au nom du maintien de la société de consommation, soit promouvoir une « simplicité volontaire » individuelle qui convient parfaitement aux oligarchies. Insignifiante en termes politiques, la décroissance voit ses thématiques ballottées des uns aux autres, servant des forces qui ne peuvent lui être qu’étrangères mais qui s’adjoignent à peu de frais des vocables nouveaux, qui trouvent là des succès équivoques.
Pour ceux qui ont conscience que les destructions des ressources bio-physiques de la planète continueront, il est clair que les couches dominantes de nos sociétés devront adapter leur discours : soit brutalement soit progressivement, il faudra faire admettre aux populations un plafonnement, puis une baisse drastique de leur niveau de vie, que l’invocation des contraintes écologiques réelles rendra indiscutables. L’annexion de toute notion existante permettant une telle entreprise paraît inévitable et le chantage sur le changement climatique semble ainsi déjà bien avancé. Il est ainsi difficile de ne pas en voir les prodromes dans la popularité démesurée des termes de « sobriété » ou de « décroissance » au regard des effectifs minuscules de leurs réels partisans – ou leur invocation par des fractions de classes moyennes rationalisant leur déclassement.
On le sait : l’écologie sert facilement de prétexte, d’aiguillon ou de faux-semblant à l’expansion de la société industrielle et à l’emballement techno-scientifique. On l’a vu, en une génération, passer du statut de marginalité subversive à celui de « priorité » des instances gouvernementales. Mais il s’agit là d’un autre phénomène qui voit la digestion d’un discours critique pour accompagner les mutations radicales d’une société : c’est la solidarité populaire des mouvements ouvriers qui s’est dissoute dans un État-providence infantilisant ; c’est l’idée communiste devenue masque grimaçant des plus grands massacres de masse de l’histoire moderne ; c’est le courant libertaire des années 60 accompagnant l’avènement d’un libéralisme culturel et économique sans limites ; c’est l’antiracisme devenu arme offensive des communautarismes ethnico-religieux.
Les sociétés du monde entier auront dans les décennies qui viennent à opérer une refonte complète du paradigme progressiste qui les a structurées, certaines pendant des siècles. Il serait étonnant que les discours, même ou surtout les plus radicaux, de l’écologie politique ne soient amenés à jouer ici un rôle historique. Bien peu de choses les en auront préservés, et certainement pas le refus de saisir à bras-le-corps les enjeux de notre époque.
3. Décroissance et modernité
Pendant des millénaires, les valeurs, normes, lois, limites des sociétés étaient imposées par un ailleurs fictif (Ancêtres, Esprits, Dieu, etc.) et, depuis peu, d’institutions « humaines » (Parti, Science, Marché, etc.). L’invention démocratique, éminemment précieuse, pose et rend possible une société qui se sait source d’elle-même, s’auto-interrogeant, émanant des individus qui la composent. L’écologie politique a posé une radicale nouveauté : elle fait valoir le surgissement de limites vitales dont la source est extérieure à la société des humains, sans pour autant se réclamer d’une instance inaccessible. Cette position lui permettait de faire revivre et d’approfondir le projet démocratique puisqu’une société pleinement responsable est seule capable d’affronter lucidement des contraintes extérieures.
Mais le déclin historique de ce projet, la difficulté des populations à renoncer au mythe de l’abondance, et l’urgence alarmante de la situation, font remonter des tendances largement irrationnelles sinon franchement religieuses.
Les milieux décroissants condensent toute la confusion idéologique de l’époque et leur diversité n’est pas un éclectisme cohérent mais plutôt un agrégat fortement hétérogène : s’y côtoient autant, qu’ils soient revendiqués ou diffus, le primitivisme que l’affirmation chrétienne, les spiritualités exotiques et le survivalisme, l’islamophilie ou l’invocation d’une « Nature » plus ou moins personnifiée, le tout se revendiquant de l’écologie, seul courant politique dont le nom est également celui d’une discipline scientifique… Le statut de la science elle-même – qu’il n’est pas difficile d’identifier comme une quasi-religion telle qu’elle est perçue et parfois délibérément présentée – y est largement problématique, mêlant rejet passionnel, fascination et dépendance. Et ce n’est pas de l’ergotage : tous les totalitarismes s’en sont réclamés, l’Histoire pour les bolcheviques, la Biologie pour les nazis, tandis que les islamistes la rejettent en son principe même…
À l’image de notre triste époque qui sombre dans l’anomie, l’écologie tombe de Charybde en Scylla, en deça de ses propres enjeux, colossaux. Parmi ceux-ci : réinventer une approche politique reprenant les exigences d’une autonomie individuelle et collective – en un mot, la liberté. Liberté de penser, donc lourde responsabilité, et lucidité quant à l’avenir. La confusion généralisée actuelle prépare ce moment, de moins en moins éloigné, où les populations devront choisir, sans le savoir très probablement et sous des formes en apparence bien plus innocentes, entre la survie biologique et la liberté [2].
4. Décroissance et puissance
Ce à quoi la décroissance s’affronte peut être formulé comme la question de la puissance. Non seulement la puissance instrumentale exercée collectivement sur l’environnement, mais plus subtilement celle de l’accès continu à une infinité de marchandises qu’est la société de consommation. Si l’une et l’autre sont des créations historiques contemporaines, leurs ressorts sont archaïques. Ils ont été exprimés durant des millénaires par une multitude de mythes, de la corne d’abondance au Dieu tout-puissant, et une multitude d’institutions sociales, comme les hiérarchies, les guerres, les religions ou aujourd’hui les mécanismes d’accumulation, de maîtrise, de contrôle.
L’écologie reprend en la radicalisant l’ambition de l’auto-limitation qu’est intrinsèquement la démocratie. Non seulement en mesurant le surgissement des limites bio-physiques de la planète, mais surtout en exprimant l’impossibilité pour le savoir humain de maîtriser l’hyper-complexité de la biosphère – et plus encore en y inscrivant l’humain dans toutes ses dimensions. La décroissance se fait donc la porte-parole de toutes les limites, des finitudes, des mortalités et pose en fait la question du devenir de cette volonté de puissance, que l’on pourrait même qualifier de « pulsion », tant elle est inscrite dans le tréfonds d’Homo sapiens.
La tentation est alors grande de limiter cette puissance, à la fois technique et psychique, individuelle et collective, en la confiant à une instance extra-sociale surnaturelle sacralisée (Dieu, la Nature ou la Science) censée garantir la mesure, la prudence, la sagesse… On ne peut qu’y opposer la solution « moderne » de l’auto-limitation, de la démocratie radicale, par l’information libre, la multitude d’opinions et la délibération lucide. Mais il ne s’agit pas de se payer de mots : jamais l’humanité n’a eu de tels moyens à sa disposition, et les institutions où pouvaient s’exprimer la folie humaine et sa soif d’absolu (la compétition sportive, la sexualité, l’art, la philosophie, la spiritualité…) semblent en regard bien faibles…
Versant beaucoup plus concret de la question : une société ayant renoncé à la force mécanique se désigne immédiatement comme une proie à ses voisines moins scrupuleuses. On voit déjà aujourd’hui que tout pays en déclin, voire en simple retard économique se voit dépecé et/ou mis sous tutelle par des puissances étrangères. Une population parvenant à résister à ces menées se verrait en peu de temps soumise à une pression militaire, terrain où la supériorité technique est cruciale, sans être totalement décisive. Aspect décourageant, mais que l’on ne résout certainement pas en le passant sous silence.
5. Décroissance et désirabilité
Une des grandes questions politiques qui hantent la décroissance est celle de sa désirabilité. Le projet de société tel que nous l’envisageons est fondé sur la sobriété ; il apparaît toujours à nos contemporains comme bien moins enviable que leur situation actuelle, quelle qu’elle soit, qui se présente comme la promesse d’un « confort matériel » toujours accru.
Les réponses des décroissants sont diverses mais tournent toutes autour de deux axes simultanés mais contradictoires : le premier relève de la volonté de rendre cette transformation sympathique, attirante, joyeuse, c’est-à-dire dans le registre publicitaire. C’est évidemment être assuré de perdre à tous coups face à une industrie du divertissement arrivée à maturité, de perdre une deuxième fois en se rendant éminemment récupérable, et de perdre enfin le jour où il faudra expliquer qu’il est temps de passer aux actes. Le second axe consiste à faire prendre conscience qu’il s’agit d’une transformation nécessaire, vitale et incontournable, sur laquelle les goûts et les couleurs n’ont pas prise, puisqu’il s’agit de continuer l’aventure humaine sous une autre forme ou de l’interrompre purement et simplement d’ici quelques décennies.
Cette contradiction est source d’éternels malentendus et semble surtout manquer l’aspect essentiel : il s’agirait plutôt d’affirmer la dimension tragique de la condition humaine, donc de rompre avec les mythologies consolatrices, qu’elles soient traditionnelles ou post-modernes. Car le monde de la décroissance, dans le scénario le plus optimiste, n’est en rien un monde chantant – du point de vue de notre époque : il renoue avec tout ce que nos sociétés du divertissement permanent s’évertuent à faire oublier en reprenant la fonction des religions historiques, la pauvreté, la rareté, l’ennui, la solitude, la vieillesse, la mort et la finitude en toutes choses… Bien entendu, cela sonnerait également le retour de la vie sociale, de l’inventivité, du courage, de l’imagination, de la joie d’exister et de la dignité, bref, de l’humanité telle qu’elle a pu brièvement exister.
Sans doute est-ce cette humanité-là, que notre histoire récente a entrevue, qu’il s’agirait de promouvoir, certainement pas de rendre désirable, mais d’activer ce qui, en chacun de nous, fait préférer la liberté, même tragique, à un état faussement béat mais certainement infantile.
6. Décroissance et démographie
La décroissance peine à aborder les questions démographiques, alors qu’elle se trouve sans doute être le seul courant politique à avoir toute légitimité pour le faire sans cadres idéologiques préconçus. La décroissance de la natalité, qu’on caricature si facilement, semble pourtant constituer une évidence au regard des difficultés apparemment insurmontables de limiter la consommation individuelle et collective. Le refus de nombre de décroissants d’aborder ce problème de fond – et c’en est un jusque dans les plus hautes instances mondiales – est en vérité un déni de réalité qui condamne au discrédit.
De la même manière la question, intimement liée, des migrations fait l’objet d’un aveuglement comparable. Les mouvements et déplacements de populations sont spontanément critiqués aux échelles locale et nationale (« l’exode rural ») mais sont l’objet d’un tabou dès qu’ils atteignent le niveau international ou intercontinental. Là aussi, pourtant, il semble assez évident que dans une démarche politique, a fortiori décroissante, ils font bien plus partie des problèmes que des solutions. Et ce de manière grandissante, que le point de vue soit du côté du pays d’émigration ou d’immigration, de l’individu ou de la collectivité, du court ou du long terme, du milieu naturel ou des sociétés, etc.
Enfin, et logiquement impliqué, un même silence nimbe une des plus grandes transformations contemporaines de nos sociétés occidentales ; leur fragmentation et leur dislocation en communautés, ethnies, religions, langues et cultures, processus pudiquement appelé « multi-culturalisme ». D’un point de vue strictement décroissant deux questions se posent immédiatement : d’abord un tel assemblage de communautés cohabitant et incapables de faire collectivité est-il encore susceptible de délibérer sur ses grandes orientations ? Ensuite notre renoncement au consumérisme, à l’ascension sociale et au mode de vie occidental, déjà malvenu, est-il seulement concevable chez des populations qui ont tout quitté précisément pour y accéder ?
Si ces questions paraissent si taboues, c’est qu’elles sont assimilées à « l’extrême droite ». Elles faisaient pourtant partie intégrante des discours et pratiques des mouvements populaires d’émancipation, notamment le mouvement ouvrier, jusqu’au dernier quart du XXe siècle. On mesure là la dépendance idéologique de l’écologie au gauchisme culturel ambiant, grand édificateur d’enfers pavés de bonnes intentions [3].
7. Décroissance et bien-pensance
Le discours décroissant, reprenant une dichotomie très progressiste, joue couramment sur un double discours : celui de l’objectivité scientifique des contraintes imposées par le milieu naturel, et celui, très subjectif, d’une politique très « politiquement correcte », les deux s’entre-impliquant providentiellement. La radicalité de l’approche écologique, que l’on pourrait qualifier d’authentiquement « révolutionnaire », devrait pourtant permettre à ses défenseurs de rebattre les cartes d’un jeu idéologique devenu à la fois insignifiant et suicidaire.
Les soupçons ou accusations de « nostalgique », de « conservateur », de « réactionnaire », d’« obscurantiste », bref « de droite » ou « d’extrême droite » qui pleuvent depuis des décennies sur les écologistes les auront sans doute poussés, aidés en cela par le conformisme ambiant, à se reconnaître dans le magma du prêt-à-penser dit « de gauche ». L’entrée dans cette camisole sécurisante offre certes un regain de légitimité, mais se paie par une anesthésie de ce que l’écologie politique avait de profondément subversif. L’émancipation du genre humain n’appartient à aucun camp idéologique – ce serait une contradiction dans les termes. On comprend pourquoi, en ces temps de suspicion permanente elle soit reléguée dans un coin poussiéreux du musée de l’histoire.
De surcroît, cela fausse complètement la nature de l’engagement, qui, au vrai, n’a jamais été clarifiée. L’étiquette « décroissant » fait aujourd’hui partie de la panoplie bien-pensante et contribue au discours de l’austérité pour les autres. Qu’un courant de pensée aussi radical puisse être aujourd’hui l’apanage des bobos, des fonctionnaires de l’État, des cadres à la mauvaise conscience, des retraités et des rentiers n’ayant jamais seulement pensé à enrayer personnellement la méga-machine dont ils occupent le centre devrait inciter à réfléchir. Sans doute n’y a-t-il pas non plus à faire l’apologie d’une marginalité militante qui fait souvent fonction de simple rite d’initiation, voire d’intégration, ou de divers types de « renonçants » contemporains. La « propagande par l’exemple », soit la focalisation sur les modes de vie, est elle-même un travers porteur d’une énorme confusion narcissique qui escamote aujourd’hui la dimension authentiquement politique d’une part, collective de l’autre, d’un tel projet de société.
La question de la cohérence est très délicate à aborder. Il ne s’agit pas de brandir la menace d’une police idéologique mais de pointer, ici peut-être plus qu’ailleurs, un écart béant entre les mots et les actes, qui ne peut que révéler une mésentente sur le désir individuel véritable. C’est celui-ci qui devrait être sujet d’introspection sur notre degré d’adhésion, et sa nature, à la société telle qu’elle est, dans sa quotidienneté. On ne construit pas un mouvement politique populaire avec du volontarisme, encore moins avec des bons sentiments, des discours d’Inquisiteur ou la ratiocination militante.
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Il y aurait certainement, sur ce point comme sur d’autres, à reprendre radicalement, c’est-à-dire à réinventer les impulsions premières des mouvements ouvriers, admirables et méconnus précurseurs. Leur dimension millénariste ne saurait cacher les trésors perdus qu’ont été le mouvement coopératif, l’athéisme militant, la revendication d’égalité des revenus, l’auto-éducation populaire, la profonde solidarité concrète, l’attachement à une identité politique collective, l’enracinement dans un territoire, un internationalisme conséquent, la défiance vis-à-vis de tous les pouvoirs et, peut-être par-dessus tout, l’inscription dans un projet de civilisation. Qu’ils pensaient ce dernier inéluctable et qu’il nous semble aujourd’hui plus éloigné que jamais ne doit pas faire oublier que nous en sommes les héritiers.
Car le monde que nous voulons est un monde de liberté, sans laquelle rien ne se fait, et d’abord celle de penser, qu’il conviendrait de le faire vivre d’abord par la confrontation à des réalités de plus en plus angoissantes. C’était là le pari initial de l’écologie politique il y a un demi-siècle et c’est celui de la décroissance, si elle veut être autre chose qu’un slogan.
Collectif Lieux communs, octobre 2017-septembre 2018