Version imprimable de Terres libérées. Où ça ?
Nos amis de Pièces et main-d’œuvre, dans une livraison récente, regrettaient de ne pouvoir donner entièrement les « sept pages de développement » de l’article de Pierre Fournier dont ils publiaient et commentaient de larges extraits (pages 7 à 9).
Voici par nos soins l’article retranscrit dans son intégralité, cinquante ans tout juste après sa rédaction. Ça rappellera des souvenirs à certains.
Nous donnons également ci-après une copie (de mauvaise qualité) des pages 4 à 10 de ce numéro de La Gueule ouverte où figurait l’article, pour les dessins de Jean-Pierre Andrévon et l’encart « Une lettre d’Edmond Richter » que nous n’avons pas reproduits.
Article de Pierre Fournier. lagueuleouverte-n2
Pierre Fournier
Terres libérées. Où ça ?
La Gueule ouverte, n° 2, décembre 1972
[Annonce passée par Pierre Fournier dans plusieurs revues « naturistes » en octobre 1968 et publiée en encadré dans le numéro 2 de La Gueule ouverte, en ouverture de son article :]
Une commune montagnarde de Savoie offre à des agriculteurs, artisans, artistes ou intellectuels la possibilité de s’installer à demeure sur son territoire. Les immeubles bâtis et les terres cultivables disponibles s’étagent de 500 m à 850 m d’altitude. Le village est desservi par une excellente route carrossable, il y a l’eau et l’électricité. Toutes les cultures de la zone tempérée sont possibles.
Le but de l’opération est de faire renaître la vie et l’espoir dans un village qui meurt, en y attirant une population neuve.
Elle peut être l’occasion de créer en France la première commune à mode de vie écologique. Les avantages d’une telle entreprise pour ceux qui y participeront, d’une part, pour la propagation de leurs idées, d’autre part, n’ont pas à être soulignés.
Nous demandons aux candidats de pratiquer un métier qui leur permette de vivre sur place, quel que soit ce métier. Nous cherchons à attirer des hommes et des femmes jeunes, mariés ou célibataires, pères et mères de famille ou susceptibles de le devenir rapidement, le premier de nos objectifs étant de rassembler un effectif scolaire suffisant pour pouvoir ouvrir l’école.
On peut acquérir des habitations pour une somme modeste, mais les réparations seront importantes bien souvent. Celles-ci, ainsi que les modifications extérieures et l’éventuelle construction de bâtiments neufs, ne pourront être effectuées qu’en respectant scrupuleusement un cahier des charges établi par des architectes, en accord avec la commune, visant à conserver l’intégrité du village. La municipalité, en même temps qu’elle prendra les mesures administratives destinées à protéger le site, s’emploiera d’ailleurs à obtenir les subventions nécessaires pour aider financièrement les propriétaires dans cette tâche de restauration, d’entretien et de reconstruction partielle du village qui doit en quelques années retrouver son aspect d’autrefois, dont il ne s’est d’ailleurs guère écarté. La municipalité entend en effet conserver au village tout son cachet (et ceci sur l’étendue entière du territoire communal) de manière à constituer une sorte de réserve esthétique en même temps que naturelle. Nous invitons les personnes intéressées par ce projet à se mettre au plus vite en rapport avec nous, une certaine rapidité d’intervention étant nécessaire si nous voulons éviter d’être gagnés de vitesse par l’exode des derniers habitants, la dégradation des maisons abandonnées et la redoutable concurrence des amateurs de résidences secondaires.
Nota : Il ne s’agit pas du tout de créer une communauté fermée, à tendance socialiste ou monastique, dans un lieu de retraite, mais de regrouper des « écologistes » (ce mot est volontairement vague) désireux de bénéficier d’un cadre naturel et social favorable, sans autre obligation que celle d’avoir, avec les autres, des rapports de bon voisinage. Nous n’avons aucune arrière-pensée d’ordre idéologique, politique ou religieux. Nous proposons une organisation matérielle, avantageuse à nos yeux, qui laisse à chacun son autonomie spirituelle, ses responsabilités familiales et sociales et sa pleine liberté d’action.
Octobre 1968.
Ce texte était celui d’une annonce que j’ai réussi à faire publier, pendant l’hiver 68-69, dans quelques-unes de ces feuilles dites « naturistes », éditées par des « sectes de végétariens », qui ont été les ancêtres bien sages de la presse « underground » actuelle. L’originalité du projet consistait en ceci :
– rassembler des hommes et des femmes venus de tous les milieux, imprégnés, ou non, des idéologies les plus diverses, en éliminant au départ les problèmes posés par la cohabitation et la recherche de règles communautaires ;
– laisser aux nécessités locales, sociales et matérielles, le soin de créer les formes d’une solidarité qu’elles auraient rendue indispensable à travers des solutions de compromis suffisamment ouvertes pour pouvoir se radicaliser au fur et à mesure de la double évolution des consciences et des possibilités pratiques. Solliciter de chacun, au départ, le respect de tous les points de vue et de tous les préjugés (un préjugé est un point de vue qui diffère du nôtre) des participants et des habitants de souche ;
– postuler, au départ, la recherche d’un (ou, plutôt, la recherche des conditions favorables à l’éclosion sans effort d’un…) consensus commun aux habitants de souche et aux immigrants.
Le but était de créer une communauté étroitement soudée par la nécessité, aboutissant à la formulation de rites démocratiques, à la fois créations collectives et reflets de l’habitude et de la coutume, suffisamment souples pour pouvoir coïncider avec les structures de gestion municipale (élection d’un maire et de conseillers, etc.), structures municipales chargées d’assurer une représentativité de forme, vis-à-vis du système, à une communauté de fait.
La seule règle imposée de prime abord était la participation à une société civile immobilière chargée d’acquérir les maisons et les terres : formule de copropriété chargée d’éviter l’écueil de la surenchère, inévitable en cas d’achats en ordre dispersé, et de sauvegarder à la fois la cohésion du groupe et les droits de chaque individu ou foyer à disposer d’un cadre de vie propre (règlements statutaires imposant à l’acquéreur ou à ses héritiers, s’ils quittaient le village, de revendre les parts correspondant à la maison qu’ils avaient occupée, et de les revendre à un acquéreur agréé à l’unanimité par l’assemblée générale des sociétaires).
Mais à l’acceptation de cette règle s’ajoutaient trois obligations :
1. Celle de ne perturber en rien (ça pouvait aller très loin) l’équilibre écologique d’un milieu naturel encore indemne de toute pollution.
2. Celle de ne jamais imposer à autrui (ce pouvait également aller très loin) les conséquences antiphysiologiques d’un mode de vie antinaturel qu’on restait libre de s’imposer à soi-même (qui dit mode de vie naturel dit alimentation, hygiène, médecine, éducation et rythme de vie naturels).
3. Celle de respecter absolument (et cela aussi allait très loin) le caractère architectural traditionnel des constructions.
En fait, ces trois obligations n’en faisaient qu’une et même à mes yeux, la troisième était la clé (et la marque d’une bonne compréhension) des deux premières.
Développement : « L’écueil de la surenchère, inévitable en cas d’achat en ordre dispersé… »
D’une manière générale, la croissance (monétaire dans ce cas précis) est la résultante obligatoire de la compétition dans l’échange et ne peut être abolie que dans (je n’écris pas : par) le passage à la répartition dans le partage : c’est-à-dire à une formule d’équilibre social qui ne repose pas sur la surcompensation perpétuelle d’un déséquilibre initial dans les rapports de l’homme et de la nature. C’est à ce couple compétition-croissance que ne peuvent renoncer ni les capitalistes ni ceux qui rêvent de force. Dès qu’elle va trop loin – c’est-à-dire jusqu’au bout de sa logique, jusqu’à la remise en cause radicale de la croissance – l’écologie se voit accuser d’intentions gauchistes par les représentants du capital et d’intentions démobilisatrices par les révolutionnaires patentés : ni les uns ni les autres ne peuvent, sans renoncer à l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes, sortir du système de pensée à l’intérieur duquel ils se combattent (en attendant de s’allier dans l’expansion industrielle quand l’expansion politique atteindra ses limites géographiques : après Lénine et Mao, les accords commerciaux avec l’Amérique).
Renoncer à la compétition, c’est renoncer aux rapports de force : donc à changer ces rapports de force sans les abolir – c’est-à-dire à « prendre le pouvoir ». Deux sortes de récupération de l’écologie sont à craindre : par ceux qui ont le pouvoir et par ceux qui le veulent.
Ceci m’amène à conclure que la réflexion écologique, si elle ne veut pas se limiter à demeurer un constat, et partiel, et aussitôt récupéré par la collaboration avec l’un ou l’autre des deux membres du couple maudit « capital – révolution », doit s’inscrire dans la réalité politique et économique à travers deux tendances qui d’ailleurs, avant de se rétrécir trop souvent à leur dimension sociale, sont nées l’une et l’autre d’une réflexion à prétention universelle, englobant les rapports d’homme à homme dans la réalité plus large des rapports d’homme à nature, de nature à homme.
La communauté, disons plutôt la dynamique communautaire, est la solution économique du problème. La non-violence, disons plutôt avec nos amis de Vendranges le combat non violent, est sa solution politique. Le problème est écologique en attendant de se définir autrement. « Écologique, dit l’un de nous, c’est un mot qu’il va bientôt falloir assassiner. » Pas avant d’en avoir un autre à disposition.
Au cours d’une réunion de « non-violents », l’un d’eux fait doucement remarquer à ses amis, qui ne semblaient pas s’en être avisés, que la non-violence ne peut convenir à la défense d’une situation d’injustice structurelle : les Occidentaux ne pourraient jamais résister par la non-violence à un assaut que leur livreraient les affamés du tiers-monde ; pour ça, il faut des chars AMX. Ou bien partager.
Évidemment, ce passage de l’échange au partage est l’objectif des révolutionnaires de tous poils et les écologauchistes n’ont, sur ce point, rien inventé que les gauchistes ne savaient déjà. Mais toute la question est justement dans le passage. La question n’est pas du tout que faire, mais comment faire ou, plutôt, le que faire et le comment faire ne font qu’une seule et même question. C’est là qu’il faut laisser la gauche et la droite à leur dialectique du coup de poing dans la gueule. Le coup de poing dans la gueule commence, d’ailleurs, avec la volonté de diriger, de contrôler, d’organiser la vie d’autrui, même à titre transitoire et avec les meilleures intentions du monde.
Là est la différence entre communisme et société communautaire ou, pour être plus précis (et reprendre les définitions de Gatheron), entre société et communauté : il faut, pour s’accommoder le mieux possible des contrôles naturels (on n’y échappe pas), substituer aux contrôles sociaux les contrôles humains.
La société doit cesser d’être organisée pour devenir organique, s’affranchir des modèles mathématiques pour se calquer sur des modèles biologiques. Ceci n’implique pas l’abandon de l’optique scientifique, mais son dépassement ; n’implique pas le renoncement à la réflexion, ni à l’expérimentation, mais leur approfondissement. Ce retour conscient à la nature est tout le contraire de « naturel ». Il va même exactement en sens inverse des tendances les plus « naturelles ». Mais, comme dirait notre éminent collaborateur, qu’est-ce que la Nature ? Un simple mot, peut-être. Encore un qu’il faudrait assassiner si la non-violence, justement, ne conseillait d’attendre qu’il s’assassine tout seul.
Explication : « La troisième obligation était la clé des deux premières. »
Le « style régional » est un mythe, mais la personnalité locale n’en est pas un. L’« aménagement » de l’espace va de pair avec son éclatement, comme l’encadrement des hommes avec leur éparpillement. L’homogénéisation des lieux au sein d’un chaos indifférencié répond à l’homogénéisation des groupes par l’isolement des individus, au sein des masses, qui n’est que la suite logique du fractionnement de l’individu lui-même entre ses diverses composantes : mentale, sentimentale et manuelle. Le souci de préserver le cadre architectural traditionnel était tout le contraire d’esthétique. C’était un souci, disons scientifique, un souci de méthode : une méthode qui consiste à globaliser les problèmes en donnant à chacun ses trois dimensions : intellectuelle, émotionnelle et pratique. Dans cette triple approche, il ne suffit pas de concevoir : il faut vérifier si ça marche. Et quand ça marche, vérifier si ça satisfait le cœur. On peut très bien, d’ailleurs, commencer par l’instinct du cœur ou par la logique du geste : à ce moment, c’est le concept qui devient une vérification.
De même que l’espace intérieur de l’individu a été découpé en rondelles, son temps intérieur a été découpé en tranches : d’où l’objection, inévitable, que s’attacher à perpétuer un cadre de vie « appartenant au passé », au lieu de s’ouvrir à l’avenir et d’« innover », c’est renoncer à toute créativité. Contresens total. Innover n’est pas créer. Créer, c’est participer soi-même aux événements de sa propre vie. Dans cette ligne, toute innovation n’intervient que si nécessaire. Toute innovation inutile révèle, au contraire, l’impuissance à créer : voir les orgies d’« originalité » qu’on se paie dans les banlieues. Le but n’était pas de se replonger dans le passé, mais dans la permanence. Une vieille leçon d’écologie.
En Grande-Bretagne, la population agricole ne représente que 5 % de la population totale. Les Britanniques dépendent entièrement, précairement, des importations de nourriture et des importations de pétrole, engrais, insecticides nécessaires à une agriculture ultra-industrialisée. La terre anglaise est virtuellement morte. Elle ne fournit plus qu’à force de doping chimique des aliments de plus en plus carencés et de plus en plus toxiques. Malgré des apports d’engrais de plus en plus massifs, les rendements commencent à baisser. Et cette baisse des rendements ne peut plus désormais que s’accentuer jusqu’au point zéro de la stérilisation définitive. L’agriculture anglaise absorbe 100 fois plus d’énergie qu’elle n’en produit, dans un monde qui voit poindre la crise générale de l’énergie. Le bétail est en proie à des épizooties catastrophiques. Victimes d’une alimentation frelatée, le quart des Britanniques sont édentés totaux. Mais les firmes de transformation alimentaire prospèrent sur cette pourriture productiviste et s’implantent sur le continent en rachetant les industries françaises déficitaires. Face à cette menace, le devoir de nos économistes, de nos financiers et de nos politiciens est de pousser à l’accélération de l’exode rural pour promouvoir le plus vite possible une agriculture aussi absurdement « compétitive » que celle de nos voisins. Le devoir de nos concitoyens est de déserter un espace rural désormais voué à la pollution touristique et de s’entasser frénétiquement dans des mégalopoles invivables. Toute une imprégnation idéologique les y pousse. Et quand on leur parle de « retour à la terre » (de retour à la terre véritable, non d’engouement factice pour une « campagne » résidentielle où la ville-mère régurgiterait son trop-plein) les victimes de cette imprégnation idéologique ricanent. Prétendent que c’est impossible parce que c’est, pour eux, inconcevable.
Peut-être en effet n’est-ce plus possible. Mais alors nous sommes condamnés à mourir d’inanition, après avoir disputé par la guerre aux habitants du tiers-monde des ressources qui leur appartiennent.
Si c’est impossible, le drame est que c’est nécessaire.
Il est vrai que la population urbaine est aujourd’hui devenue trop nombreuse pour pouvoir toute trouver place dans l’espace rural. Mais cette hypothèse absurde est celle des imbéciles qui veulent voir dans toute solution proposée une solution universelle. Or, il est également vrai que nous ne pourrons pas longtemps vivre tous dans les villes, en laissant aux machines le soin d’exploiter à mort ce qu’il restera de désert dans les interstices de la banlieue totale.
La reconquête par le peuple qui en est issu de la terre qui le nourrit, cette reconquête se fera d’une manière ou d’une autre sous la pression des catastrophes ou de l’instinct vital.
Le mouvement communautaire, qui fait refluer vers la terre les enfants de ceux que la société industrielle en a chassés, est une manifestation de cet instinct vital. Il n’y a pas lieu de ricaner. Il faut essayer de comprendre.
Si l’on excepte le cas trop particulier pour être généralisable de l’Arche (la communauté fondée il y a 20 ans par Lanza Del Vasto) et quelques autres peut-être, qui toutes ont en commun le mysticisme, aucune communauté véritable, à ce jour, n’a tenu assez longtemps pour pouvoir constituer un exemple.
Ce n’est pas décourageant. Le mouvement n’en est qu’à ses débuts. Passé l’étape de l’enthousiasme irréfléchi aussitôt récupéré par la mode, il en arrive au stade de la réflexion. Toute dialectique suppose, après la thèse, l’antithèse (après la société posée, une société qui s’oppose), après quoi vient la synthèse (vu l’échec de la société qui s’oppose, une société s’élabore à partir des deux modèles précédents).
Un certain mépris des objets, auxquels on n’accorde que leur valeur d’usage, est la tare de toutes les communautés : on y vit dans le désordre et la négligence ; on y casse, on y égare, on y jette beaucoup, finalement on y consomme beaucoup ; après quoi, ayant fait le vide, on retourne en ville pour faire le plein ; on s’est cru contestataire de la société de consommation, on s’est conduit sans le savoir en enfant de la société de gâchis.
Wilhelm Reich a eu des intuitions fulgurantes, c’est un prophète considérable. Il a très bien vu que la société bourgeoise faisait de nous des robots, en extirpant toutes les racines qui nous rendent ingouvernables. Mais son point de vue est celui d’un citadin. Dans l’univers urbain, le sexe est tout ce qu’il nous reste de Nature. Que l’idéologie bourgeoise nous ait acculés à la frustration et à l’obsession en essayant de nous inspirer l’horreur de ce reliquat, c’est évident. Mais si l’« orgone » de Reich, ou la « vitalité » de Monsieur Toutlemonde se révèle quand nous déchargeons nos batteries au cours du coït, ce sacre, cette unique possibilité de communier avec le cosmos perd progressivement de son importance quand on peut marcher pieds nus dans l’herbe. Les collectifs sexuels arrivent à durer en milieu urbain. Aux champs, ils ont vite fait d’apparaître pour ce qu’ils sont devenus : une surcompensation inutile, puis une contrainte artificielle au sein d’une culture occidentale tenace, qui nous pousse et poussera nos enfants, pour plusieurs générations encore (s’il doit y avoir encore plusieurs générations…) à rechercher la sécurité affective au sein de relations privilégiées, dans un cadre sentimental stable.
Il ne faut pas prendre pour « la Nature » ce qui n’est en nous que nostalgie d’un état pré-adulte. Il faut refuser absolument qu’un être soit propriétaire d’un autre être, mais ce qui déséquilibre cette relation entre deux êtres ce n’est pas qu’elle soit, c’est qu’elle soit unilatérale. La possessivité n’est que l’une des deux faces d’un rapport dont l’autre face est l’engagement, la responsabilité : la fidélité. Il paraît (c’est Arnaud Desjardins qui le prétend) qu’aux Indes (la civilisation indienne, absente à Calcutta, est dans les villages) on ne dit pas « c’est mon fils » ou « c’est ma femme », mais « je suis son père » ou « je suis son mari ».
L’une des marques de cette régression infantile, qui n’est que l’antithèse stérile de la hiérarchisation des rapports humains au sein de la société bourgeoise, a été la tentative plus ou moins sincère, dans beaucoup de communautés, de supprimer la relation parentale privilégiée. Les études de Bettelheim sur les enfants des kibboutz lui ont permis d’observer que cette méthode, qui n’existe là-bas qu’à l’état de tendance, aboutissait à faire des adolescents ultra-conformistes, passablement puritains et soucieux d’une différenciation entre les attributions des deux sexes qui a tout pour scandaliser les extrémistes du MLF. L’enfant qui « choisit » son modèle et que tout le monde « aime » parce qu’il est à tout le monde, j’ai bien peur que ce soit bidon, et surtout pour le principal intéressé. La première qualité d’un modèle, c’est d’être présent, ce n’est pas d’être parfait. La possessivité est probablement un des ingrédients nécessaires à un amour réussi. Thérèse Lemadre veut divorcer mais Michel Fauqueux. après son évasion, s’est fait pincer en essayant de « revoir ses enfants ». Dans les parloirs, les épouses et les maîtresses ne sont pas les plus nombreuses. Elles ont vite fait d’oublier, de trahir, de « refaire leur vie ». Mais les mères s’accrochent. Elles viennent et reviennent, inébranlables, inlassables… Imaginez un produit de communauté en taule, recevant la visite du « délégué du groupe »…
« La Nature », nous ne savons pas du tout ce que c’est. Nous ne savons pas ce qui, dans nos comportements, est dicté par « la Nature » ou par des conditionnements dont l’hérédité culturelle a pu faire une seconde nature. Il est probable que nous ne pouvons pas le savoir, et que nous aurions tort de chercher à le savoir. Il vaut mieux essayer de recréer par tâtonnements, sans a priori, des conditions de vie telles que la Nature et la Culture puissent, en nous, cohabiter paisiblement, s’accorder.
Je n’écris pas ça pour juger sans connaître. Il n’est pas exclu, par exemple, que la sexualité de groupe soit, en fournissant à plus de deux adultes la satisfaction de l’instinct maternel et paternel offerte par un seul enfant, une incitation à la régulation des naissances, qui est aujourd’hui de première nécessité. Ni que cette forme de partage sans exclusive soit un préalable utile à la substitution d’une économie de partage à une économie d’échange, qui est bien le but final du mouvement communautaire. Mais – le récent rapport Simon semble le démontrer – l’évolution générale va dans l’autre sens, celui d’une affirmation du couple, et ceci au moment et dans la mesure où la jeunesse s’affranchit de la morale sexuelle bourgeoise. Sur ce plan comme sur beaucoup d’autres, la vague communautaire semble accuser un retard, enfoncer des portes que l’ensemble de la société a déjà franchies sans s’en apercevoir, à travers un processus naturel, de passage d’un compromis à un autre, celui dont les communards justement, dans leur enthousiasme épuré, ne voient pas assez la nécessité. Bref, le mouvement communautaire, jusqu’à aujourd’hui, semble s’être enlisé dans les marges par manque de réalisme, par goût des solutions toutes prêtes, par la fascination qu’exerce le modèle « contre-culturel » américain (nous sommes tous, dans le monde d’aujourd’hui, les provinciaux de l’Amérique).
Mais la lecture de « C » montre à quel point les idées bouillonnent, se bousculent, évoluent vite dans les milieux communautaires, à quel point ils jouent leur rôle de laboratoires d’une civilisation nouvelle, à quel point ils se diversifient dans la tolérance tout en s’unifiant sur les quelques options essentielles. Le folklore s’efface des réalités vécues. Reste à l’effacer de la tête des observateurs.
Je ne sais plus qui notait que George Sand avait décrit les paysans avec plus de véritable réalisme que Zola. Les terriens ne sont pas des bergers de Virgile, ce ne sont pas non plus des animaux de trait. Faner, ce n’est pas « la plus jolie chose du monde », ce n’est pas non plus un labeur abrutissant. La réalité est entre les deux, plus proche de Giono ou plus proche de Maupassant selon l’idée qu’on s’en fait et les préjugés littéraires de la bourgeoisie, qu’ils noircissent ou qu’ils blanchissent le tableau, ne sont pas la meilleure voie d’accès. Le paysan lui-même, séparé qu’il est de sa culture propre par les soins de l’enseignement officiel, n’a pas une vision plus juste de sa condition, qu’il maudit souvent en toute méconnaissance de cause. Il n’est que de constater le grand goût des enfants pour des tâches agricoles, souvent répétitives et monotones, qui les rebuteront plus tard, quand ils n’en percevront plus la charge poétique.
La réalité communautaire est aussi difficile à approcher. Et l’agacement des communards envers qui les juge de l’extérieur (plutôt, c’est humain, envers qui les juge mal) ne signifie pas toujours qu’ils soient eux-mêmes meilleurs juges. Du moins ont-ils, eux, le « droit » de se juger, et c’est encore un des enseignements de la lecture de « C » qu’ils le font sans complaisance – voire avec ce soupçon de masochisme qui est la marque des minorités tenues à distance.
Je veux en venir à ceci que « mon » projet de village communautaire, avec l’aspect qui était le sien de retour à une sorte de sagesse paysanne éminemment relativiste et conservatrice, avait peu de chances d’être compris à une époque où la jeunesse, sur la lancée de mai 68, rêvait d’abolir l’oppression sans faire de détail et en confondant un peu tout sous ce vocable. Après quatre ans de réflexion et des expériences extrémistes qu’il fallait accomplir de toute façon, peut-être est-elle plus mûre pour une tentative de ce type.
J’ai malheureusement autre chose à faire (et déjà du mal à y parvenir), mais si je manque de temps et de la disponibilité nécessaires pour recommencer ailleurs, du moins puis-je relancer l’idée avec l’espoir que d’autres la reprendront (avec sérieux, comme il se doit).
Les causes de l’échec (car, évidemment, ce fut un échec), telles que je les analyse aujourd’hui, se ramènent à deux principales : mon inexpérience et ma précipitation. Excuses pour mon inexpérience, il faut un commencement à tout, et j’aurais préféré suivre des gens expérimentés s’il s’en était trouvé pour oser et vouloir mener à bien un projet de ce genre. Excuses pour ma précipitation (il ne faut pas confondre vitesse et précipitation) : la situation était urgente (elle l’est plus encore), or une telle entreprise était plus difficile en 1968 qu’en 1967, et elle sera plus difficile en 1973 qu’en 1972. C’est sans doute vers 1950 que le maximum de chances de réussite se trouvaient réunies. Malheureusement, les esprits n’étaient pas mûrs. Actuellement, les gens commencent à comprendre. Mais l’encadrement administratif et l’occupation touristique de l’espace rural commencent à rendre la chose impossible. Les gens comprennent toujours trop tard. Ce qui est décourageant, donc, ce ne sont pas les échecs passés du mouvement communautaire. c’est que pendant cette période de tâtonnements maladroits le piège se refermait. Au dix-huitième siècle, au dix-neuvième siècle, fuyant les campagnes européennes surpeuplées, les utopistes allaient fonder des colonies aux Amériques. Il n’y a plus d’Amériques. Et les campagnes qui se vidaient encore il y a vingt ans sont aujourd’hui investies par la ville sans d’ailleurs se repeupler pour autant. On ne peut plus fuir nulle part.
D’une manif à l’autre, la franc-maçonnerie des écologauchistes se raconte ses expériences agricoles. C’est dur la culture, au jour d’aujourd’hui. Tout est contaminé. Les quelques carrés de légumes « biologiques » sont envahis par la vermine qui prolifère alentour et vient se réfugier en zone libre à chaque nouvelle aspersion d’insecticide. « Pour chasser les pucerons avec un lance-pierre, tu sais, faut de la constance. Et quant à éduquer les voisins… Dans ma commune, en Lorraine, y a un type qui est dans le coma depuis quinze jours : intoxication au parathion. Mais il en faut plus pour faire réfléchir les autres… »
« En Bretagne, c’est foutu. J’ai deux hectares pour mes chèvres. Je sais que j’en aurai jamais davantage. J’ai un voisin qui est dans le même cas : avec une vache de plus, il pourrait quitter l’usine et se consacrer à la terre. Mais il ne pourra jamais agrandir sa superficie parce que la Safer donnera la priorité à un plus gros que lui. Toutes les terres sont accaparées par les jeunes paysans (ceux qui restent) lancés dans la course en avant, endettés à mort, toujours plus mécanisés. Les unes après les autres, les petites propriétés sont englobées dans de plus grandes, elles-mêmes destinées à être mangées par des géantes. Impossible d’acheter de la terre. Restent les bâtiments, transformés en fermettes répugnantes de mauvais goût par des Parisiens, tandis que les rares fermes encore en activité s’entourent de hangars hideux. Je suis dans un des derniers îlots de bocage pas encore touchés par le remembrement. Résultat : tous les oiseaux chassés des plaines découvertes se rassemblent chez moi. Impossible d’avoir un fruit. »
« Je suis en Dordogne. Dans le coin où ils produisent les fraises toxiques qui ont provoqué des accidents en Allemagne il y a quelques mois. C’est assez boisé. Chaque clairière est plantée de fraises qui poussent sur du plastique : on perce un trou pour chaque fraise. C’est très pratique. La moindre bicoque sans toit atteint des prix fous : tout est colonisé par les Hollandais. »
« La dernière fois que je suis allé voir Leyraud (Jean-Claude Leyraud du Courpatier. BP 2. 84 – Rastcau) en Provence, j’ai planté la tente au pied d’une colline. Dans la nuit un orage éclate. La tente a été emportée par un fleuve de boue : ils venaient de défricher la colline au bulldozer pour y planter de la vigne. La monoculture de la vigne envahit tout. Après la pluie, tu sais comme les odeurs montent de la terre. Eh bien, là-bas, les odeurs qui se dégagent sont des odeurs de pharmacie. Ça pue ! À 2 heures du matin, tu es réveillé par les tracteurs : ce sont les paysans qui vont « traiter ». Y a qu’à cette heure-là que ce soit supportable, que ça ne se volatilise pas trop dans l’atmosphère… L’autre jour, un commerçant passe sur la route avec sa camionnette, au moment précis où un paysan arrive au bout de sa rangée de ceps avec son pulvérisateur. Il reçoit une bouffée d‘insecticide en plein visage, par la vitre ouverte. D’instinct, il referme la vitre. Il roule encore quelques kilomètres et il s’écroule sur son volant ; mort. Et ce n’est qu’un cas parmi bien d’autres… »
« J’habite en banlieue parisienne. Il reste quelques arbres entre les immeubles. C’est plein d’oiseaux qui chantent. Le dimanche, je vais à la campagne, au bord de la Loire : là, le silence ! Les insecticides ont tout détruit. »
Où fuir ? Nulle part. On est coincés. Enfin, presque… Faut pas être maso. Mon inexpérience et ma précipitation ne furent les causes de notre échec que dans la mesure où elles m’empêchèrent de surmonter les autres causes d’échec : le décalage entre mes conceptions et celles des compagnons que j’avais recrutés ; entre leurs conceptions et celles des paysans, partie prenante dans une telle tentative ; entre les conceptions, parmi eux, des uns et des autres ; entre leurs conceptions et ce qu’ils étaient décidés à faire.
Sauter le pas, c’est difficile. Sans filet, presque impossible. Et l’on tombe sur la cause fondamentale des échecs communautaires : le problème économique. Même en marge du système, on dépend de lui pour la satisfaction d’un grand nombre de besoins. Même si l’on réduit ces besoins à un minimum peu compatible avec une vie culturelle dont le système s’est acquis le monopole, il reste la nécessité d’une certaine articulation avec le système et celle-ci, irréductible même si l’on renonce à toute perspective militante, passe par le fric. Le compromis le plus difficile à trouver, c’est le compromis avec le fric. Je ne m’étais pas suffisamment préoccupé du problème. Je ne voulais ni ne pouvais faire un refuge de l’armée du Salut, et c’est pourquoi je laissais à chacun le souci de le résoudre pour son propre compte, les solutions collectives étant à rechercher dans un second stade (mais on ne voyait pas bien comment se ferait le passage à ce second stade et, dans les faits, le « chacun pour soi » édictait son absence de règles, ceux qui avaient résolu le problème à leur niveau ont fait capoter l’opération en refusant, dès lors, de prendre en considération les besoins des autres). Si la nécessité forge la solidarité et fonde la cohésion morale, cette nécessité est d’abord la plus matérielle : celle du pain quotidien. C’est toujours elle, beaucoup plus que les convergences spirituelles pouvant s’y ajouter, qui a entraîné autrefois la formation de communautés villageoises. Il n’y a guère d’autre ciment possible pour les « grandes familles » communautaires que celui qui soude les familles traditionnelles : le partage égalitaire des biens, des acquêts, la répartition des tâches au sein d’une même équipe de travail se répartissant les mêmes revenus (de quelles tâches et de quels revenus ?). C’est évidemment le problème dont la solution commande toutes les autres : si les Esquimaux n’ont pas la même morale sexuelle que les paysans corses, c’est parce que les uns et les autres ont la morale adaptée aux conditions que leur impose leur genre de vie. Loin d’occulter le problème social, le problème écologique nous fourre le nez dedans. Simplement, il lui fournit le cadre hors duquel toute recherche de solution ne pourrait être que fantaisiste.
Il y a des gens qui ont, semble-t-il, assez bien posé, et posé comme ce qu’il est : un préalable nécessaire, le problème de la croûte à gagner. Du moins l’ont-ils bien posé sur le papier. Quant à ce qu’il en est dans la pratique, c’est à voir.
Avant de leur laisser la parole. je voudrais toutefois faire observer que la solution qu’ils proposent est encore et toujours une solution de compromis avec le système et même qu’elle suppose résolue une sacrée contradiction : que le système accepte un compromis auquel lui-même n’a rien à gagner. Si les sociétés industrielles utilisent un volant de main-d’œuvre temporaire, ce sont toujours elles, et non la main-d’œuvre en question, qui décident de l’embauche et des disponibilités au gré de leurs besoins propres. Sauf par accident, cette main-d’œuvre est toujours non qualifiée puisque la formation, qui est coûteuse, doit être rentable. Dans quel pays, par exemple, procure-t-on aux femmes le travail à mi-temps, seul compatible avec leur condition de mères ?
Ce qui est intéressant, c’est que Claude Lanquetin et ses amis tentent de jeter les bases d’une société vraiment libérée du fric en maintenant le compromis avec le fric à l’extérieur de leur micro-société.
Le risque est celui d’un éclatement ou d’un effritement de cette micro-société sous l’assaut des sollicitations extérieures que subiront ses membres isolément.
À l’inverse, Marcel Barbu, en fondant la communauté de Boismondeau (« les boîtiers de montre du Dauphiné »), a délibérément installé le compromis au cœur de sa micro-société en la bâtissant autour d’une manufacture bien à elle, mais forcément soumise aux impératifs de compétitivité et de rentabilité qui ont, semble-t-il, fini par dissoudre la communauté de l’intérieur. Y’a pas de solution toute prête, mais cherchons.
Fournier
Debra
/ 10 novembre 2022Excellent. Je vais diffuser dans « ma » communauté de gens susceptibles de vouloir réfléchir.
Je crois beaucoup dans la vertu de la nécessité. C’est dans la souffrance qu’on est amené à changer les pratiques, et pas par curiosité intellectuelle « désintéressée ». Pour l’élan mystique et évangélique, s’il n’y a pas nécessité, et souffrance qui l’accompagne, ça tombe à plat comme un soufflé sorti du four qui n’arrive pas… à point.
Beaucoup de.. sociétaires de la société de consommation souffrent d’une perte, voire un manque de sens dans leur travail qui doit non seulement leur permettre de « gagner leur croûte », mais les occuper pendant de longues heures de la journée. Si l’Homme n’est pas occupé d’une manière ou d’une autre, en étant « actif » (longue discussion possible ici sur le sens d' »actif » car recevoir/accepter un don est « actif »), Il souffre. Il ne sait pas forcément de quoi il souffre ; il peut être même aliéné de percevoir la souffrance elle-même, mais moi, je vois la souffrance. L’ennui… est une souffrance, par exemple.
Mais il faut se méfier d’une diabolisation de la répétition. La répétition est attaquée dans l’idéologie du progrès, qui promeut une vision linéaire, jusqu’au boutiste de l’EVOLUTION. Une temporalité qui se déploie en expansion continue, sans retour, ou surtout sans ellipse avec des retours sous forme de spirale. Pourtant… l’observation d’une temporalité des saisons suggère un temps qui INCLUT la dimension d’un retour : non pas un retour au/du même, mais un retour relatif. Ce n’est pas un retour au point de départ (comme le retour au jardin d’Eden, par exemple…), mais quelque chose qui se répète. Y compris dans le travail, et l’activité. Pas de mémoire, donc, pas d’histoire, sans répétition. Credo.
Il y a des sujets dans ce texte qui me sont précieux :
La possessivité : J’ai appris avec un grand intérêt qu’au moment où Rome entre en effervescence autour du premier siècle avant la naissance de Jésus, il y a eu une crispation dans les têtes autour de la propriété, donc… la possession. C’est le moment de rappeler que Rome est passé dans sa longue histoire d’une petite communauté dirigée par la nécessité, communauté de bergers qui ne jouaient pas de la flute traversière, dans une…comédie de retour aux origines, mais où la taille de la communauté permettait une coopération vivante entre les… patriarches ? qui étaient investis d’une certaine autorité dans et par leur communauté. Je pense qu’une telle communauté s’oriente surtour autour du travail qui est à faire, travail qui est une nécessité pour vivre ; elle est forcément limitée dans l’espace, et non pas organisée autour d’une idéologie ou… une religion. Tout cela n’exclut pas un temps… de repos du travail, un temps pour manger ensemble ? écouter des histoires ? se retrouver AU REPOS.
Au premier siècle avant J.C., tout cela est bien loin. Il n’est plus du tout possible pour un (petit) exploitant berger/fermier de quitter sa propriété, ses champs pour défendre ses biens, sa communauté, et revenir pour faire sa récolte. Les guerres sont trop loin ; la professionnalisation de l’armée s’impose, et il y a un exode des ruraux soldats qui reviennent après les campagnes militaires pour trouver la ruine chez eux sur leurs petites exploitations. Ils vont… en ville, et en masse. (Rien de nouveau sous le soleil. Mais probablement que la ville va vers eux, aussi. Logique.) Plus on avance dans le temps de Rome, plus le rapport à la terre pour ces Romains urbanisés est frappé d’une mythologie nostalgique pastorale (et bucolique) à la hauteur de Marie Antoinette au Trianon, ou…la génération de mai 68, par exemple. En ville, « on » achète (avec de l’argent) en boutique, au supermarché ; on ne voit pas pousser sa nourriture. On ne voit pas tuer… sa viande non plus.
Donc, les Romains étaient soucieux de cette affaire de possession aussi. Ils ne disaient pas « j’ai un fils », ils disaient « un fils m’A ETE DONNE » (Datif). Chic, non ? Mais pour être subtile comme j’aime être des fois, on peut remarquer que ce qu’on appelle « le pronom POSSESSIF », (on l’appelait comme ça dans le temps, et maintenant ?) est polysémique. Il exprime… la relation autant que la possession, et la possession est une forme de relation, mais pas la seule. Ainsi « mon fils » peut être perçu comme « l’homme avec qui j’ai la relation de père/mère », et non pas « l’homme qui est en ma possession », comme mon grille pain, etc.
Tout cela est assez insoluble. Dans la pièce à côté, il y a.. NOS VIOLONS. Ces violons vont durer bien au-delà du temps de nos vies individuelles. Ils nous survivront, tout comme nos enfants (je l’espère…). Ils sont vivants, à leur manière, pas comme nos enfants, certes, mais ils sont vivants. Ils ne sont pas des grille-pains, et j’ai plus d’affection pour « mon » violon que pour un passant dans la rue. Mon violon..a-t-il plus de valeur… pour moi que le passant inconnu, anonyme dans la rue ? A méditer. Je n’en dirai rien.
Retour à la terre, et notre relation avec elle, qui est le problème principal. Que vaut-elle pour nous, qui voyons si peu l’étendu de notre dépendance sur ce qui est devenu lointain et abstrait ? Mais… manger n’est pas lointain et abstrait, pas si on prend le temps d’y penser un peu. C’est difficile en ville.
Mais ça fait un bail que nous avons organisé la vie en société comme si tout cela n’était que… théorique et abstrait. Nous avons mis le pilote automatique, et ça a bien tourné pendant un certain temps, mais.. ça ne tourne plus. Ce n’est plus vraiment abstrait dans la Tête du Corps Social. Je crois. D’où… la Grande Panique qui est sur nous.
C’est tout pour l’instant…
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