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Du bluff technologique
à l’esbroufe artistique
Contre les projets d’art contemporain de la commande Garonne, et en particulier la mise au puits de l’œuvre de Jacques Ellul par Suzanne Treister
Décidément, les aménageurs n’en peuvent plus d’attentions envers les aménagés. Après la commande artistique Tramway (3 millions d’euros pour les deux premières tranches) qui nous a déjà valu une douzaine d’« œuvres » aussi ridicules que prétentieuses, Bordeaux Métropole (ex-CUB) nous annonce sa nouvelle commande Garonne (12 artistes, 8 millions d’euros) censée agrémenter nos rives dès l’an prochain.
Parmi les projets retenus par un petit cénacle d’oligarques (on ne va tout de même pas demander son avis à la populace), un monumental orgue à 36 sifflets qui fonctionnerait grâce aux rejets de vapeur de l’usine de retraitement des déchets de Bègles et qui nous donnerait, la chose peut être utile, l’heure de la pleine mer. « C’est une œuvre très complexe techniquement », nous prévient la réalisation artistique, qui ajoute : « L’usine et l’œuvre vont faire corps. » Le mariage de l’Art et de l’Industrie : on ne vous l’a pas soufflé. Quant à M. Duchêne, aménageur en chef à la Métropole, il nous affirme que ce projet « apporte une certaine forme de poésie dans une zone industrielle qui ne s’y prête pas forcément ». La poésie des ordures… on en est tout émus. Mais le gros lot, c’est une artiste anglaise, Suzanne Treister, qui l’emporte avec son triptyque à 1,5 million d’euros. Bingo !
La première des trois œuvres, une bibliothèque d’ouvrages de science-fiction, sera installée dans le grand équatorial de l’observatoire de Floirac. Six étagères murales, ça ne mange pas de pain, mais pourra-t-on emprunter les livres ? Combien ? Aucune information à ce sujet sur le site de Bordeaux Métropole, où l’on apprend toutefois que Suzanne Treister, après maints gribouillis psychédéliques, est « devenue une pionnière dans le champ du digital au début des années 90, en proposant des travaux autour des nouvelles technologies, et en développant des mondes fictifs et des organisations collaboratives internationales », et qu’elle a élaboré « par le biais de nombreux médias – vidéo, Internet, technologies interactives… – un large ensemble de travaux qui intègrent les récits excentriques et les champs de recherche non conventionnels, afin de révéler les structures qui relient le pouvoir, l’identité et le savoir ». On n’y comprend pas grand-chose mais qu’importe, on sent tout de suite que c’est du lourd. « Ses projets comprennent des réinterprétations fantastiques des taxonomies données et des histoires qui examinent l’existence de forces secrètes, invisibles et à l’œuvre dans le monde, qu’il s’agisse de celui de l’entreprise, du militaire ou du paranormal. » Mazette ! Et, en effet, la dame ne cache pas son goût pour l’occultisme, les sociétés secrètes, le spiritisme…, et se flatte d’avoir conçu un jeu de tarots ésotérico-subversif intégrant les figures d’Adorno, Arendt, Thoreau, Unabomber, Huxley, Zerzan, Mumford… mais, curieusement, pas celle d’Ellul. (suite…)