Jean-Luc Debry, « Honneur à ceux du livre »

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Jean-Luc Debry
Honneur à ceux du livre

Mis en ligne le 24 novembre 2022 sur le site A contretemps

Honneur à ceux qui fouillent les fonds d’archives et exhument le passé afin de le rendre intelligible en l’exposant à la lumière – qui, parfois, accélère la décomposition du sens que lui donna l’historien.

Honneur à ceux qui sont prêts à en découdre pour une virgule mal placée ou une précision omise.

Honneur aux amoureux de la langue – qu’elle soit noble ou roturière.
Honneur à ceux qui recueillent les idiomes perdus.
Honneur à ceux qui, leur vie durant, dans la presque indifférence de leurs contemporains, assemblent des histoires nourries de chair et de sang traduisant des passions qui faisaient frissonner les rêveries souvent tragiques des hommes et des femmes des temps jadis.

Honneur aux boiteux de la grammaire qui, malgré la souffrance que génère leur handicap, ne renoncent point à l’amour qu’ils portent aux écrits égarés sur une feuille volante.

Honneur aux sages qui laissent pérorer sans honte les ignorants en quête de pouvoir à asseoir sur leur prochain.

Honneur aux modestes besogneux qui tiennent la chronique des temps passés afin d’éclairer d’une lueur incertaine notre présent accablé.

Honneur aux joyeux drilles qui picolent un crayon à la main et narguent les bonnes âmes armées de leur conscience ravageuse.

(suite…)

Panaït Istrati, préface à « La Vache enragée » de George Orwell

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Panaït Istrati

Préface à
La Vache enragée
de George Orwell
(Mars 1935)

Présentation de cette préface de Panaït Istrati, écrite à l’article de sa mort,
par Alain Dugrand

 

Je ne sais pas quel est le genre de romans qu’écrit habituellement George Orwell, mais La Vache enragée est une œuvre rarissime à notre époque, principalement par la pureté de sa facture, je veux dire par l’absence totale de phraséologie littéraire. Dans ce livre, on ne trouvera pas une seule page de ce qu’on est convenu d’appeler, d’une manière péjorative, « littérature ». Et, cela, on peut le considérer comme un record de la part de cet écrivain, en même temps que comme une grande chance pour son lecteur. À première vue, La Vache enragée peut sembler n’être qu’un simple reportage, un journal de voyage, comme le dit l’auteur lui-même. Ce livre est pourtant tout autre chose. Car il n’existe pas un journal de voyage qui puisse conserver, pendant deux cent quatre-vingt-six pages, ce naturel, cette simplicité, cette puissance qui consiste à ne montrer que le fait, le geste, la réalité brutale et dépourvue de toute niaiserie descriptive ou constructive, sans jamais tomber dans la monotonie. (suite…)