Version imprimable de la Lettre à Lelia, Stefania e altri
Jacques Philipponneau
Lettre à Lelia, Stefania e altri, rédigée le 27 août 2022
Quand nous nous sommes retrouvés en juillet 2021, après la mort de Piero, nous ne nous étions pas vus depuis plus d’un an, en présentiel, ou en real life, comme la novlangue normative l’énonce désormais. Il était en effet devenu aussi malaisé de franchir les Alpes que du temps de Montaigne, les ouvertures fugaces et aléatoires de la frontière étant plus difficiles à prévoir qu’une fenêtre de tir pour Mars. Un an après ma lettre de mai 2020, j’avais quasiment achevé une sorte de suite-bilan mais tardais à l’envoyer, attendant que Piero se rétablisse suffisamment pour en prendre connaissance. Il n’en aura pas eu l’occasion et il m’a fallu du temps pour reprendre cette correspondance, tant la pauvreté des mots semblait vaine devant la brutalité de cette perte.
Sur cette trame écrite au printemps 2021, drastiquement allégée de tout ce qu’il pouvait y avoir de démonstratif, car frappée d’obsolescence par l’évidence de ce qui est arrivé, j’ai essayé d’être plus conclusif après nos rencontres puisque nous touchons à la suspension momentanée de cette psychose mondiale, mais certes pas à ses développements ultérieurs.
Avec plus de deux ans de recul, le bilan est désormais clair sur ce que l’épidémie de covid a révélé de notre monde : qu’il ne s’agissait pas d’une crise sanitaire mais de la crise systémique d’une société malade à tous égards, même si son aspect finalement le plus superficiel, les tragiques insuffisances de l’hôpital public, est un pur produit de la gestion bureaucratique de la médecine au temps du néolibéralisme. Sur ce seul point, l’exemple français est édifiant : en 2021 on a encore supprimé 5 700 lits d’hôpital s’ajoutant aux 180 000 supprimés entre 2014 et 2020 et le ministère de la santé a fait la chasse à toute prophylaxie ou thérapie non hospitalière.