Hélène Tordjman, « La croissance verte contre la nature »

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Hélène Tordjman

La croissance verte contre la nature
Critique de l’écologie marchande

Introduction

« C’est une triste chose de songer que la nature parle
et que le genre humain n’écoute pas ».
Victor Hugo, Carnets, 1870

Envoyer des nanoparticules de soufre dans l’atmosphère pour atténuer le rayonnement solaire ; « fertiliser » les océans avec du fer ou de l’urée pour favoriser la croissance du phytoplancton, grand consommateur de dioxyde de carbone ; fabriquer de toutes pièces des micro-organismes n’ayant jamais existé pour leur faire produire de l’essence, du plastique, ou les rendre capables d’absorber des marées noires ; donner un prix à la pollinisation, à la valeur sacrée d’une montagne, à la fonction de séquestration du carbone des forêts ou aux récifs coralliens en espérant que le mécanisme de marché permettra de les protéger ; transformer l’information génétique de tous les êtres vivants en ressources productives et marchandes… Cette liste à la Prévert est celle de quelques-unes des « solutions » envisagées aujourd’hui pour répondre à la crise écologique. Elle témoigne du rapport à la nature qui domine nos sociétés, rapport caractérisé par une volonté de maîtrise, une instrumentalisation de toutes les formes de vie sur Terre, en sus d’une foi inébranlable dans le mécanisme de marché. Or c’est justement une telle perspective anthropocentrique qui a engendré la catastrophe écologique. Depuis les débuts de l’ère moderne en Occident, la nature a été envisagée comme un réservoir de ressources dont l’Homme pouvait faire ce que bon lui semblait. L’émergence et l’approfondissement du capitalisme industriel il y a un peu plus de deux siècles se sont inscrits dans ce paradigme et ont renforcé sa légitimité.

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