Version imprimable des Racines psychiques et sociales de la haine
Cornelius Castoriadis
Les racines psychiques et sociales de la haine
1996 (1)
(Mis en ligne le 2 juin 2010 sur le site de Lieux communs)
Peut-être y a-t-il eu des guerres n’ayant mobilisé que des pulsions agressives « limitées », par exemple le minimum d’agressivité impliqué par la défense de soi. Mais ce dont nous sommes les témoins depuis des années en Afrique et en Europe, de même que ce qui a eu lieu en Europe et en Asie de l’Est pendant la Deuxième Guerre mondiale, c’est une explosion d’agression illimitée, exprimée par le racisme, les meurtres sans discrimination des populations civiles, les viols, les destructions de monuments et d’habitations, les assassinats et les tortures infligées aux prisonniers, etc. Et ce que nous savons de l’histoire humaine nous oblige à penser que les innovations de la période récente dans ce domaine concernent surtout les dimensions quantitatives et les instrumentations techniques du phénomène, comme aussi ses articulations avec l’imaginaire des groupes considérés, nullement sa nature. Quelle que soit l’importance d’autres conditions ou de facteurs concomitants, impossible de comprendre le comportement des gens participant à ces événements sans y voir la matérialisation d’affects de haine extrêmement puissants.
J’essaierai de montrer ici que cette haine a deux sources qui se renforcent l’une l’autre :
– la tendance fondamentale de la psyché à rejeter (et ainsi, à haïr) ce qui n’est pas elle-même ;
– la quasi-nécessité de la clôture de l’institution sociale et des significations imaginaires qu’elle porte.
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