Version imprimable de François d’Assise et la reverdie
Renaud Garcia
François d’Assise et les poètes de la reverdie
Mis en ligne par PMO sur leur site le 28 décembre 2021
La reverdie est un chant d’amour et de printemps, issu de vieilles traditions païennes et paysannes, qui surgit dans les pays de langue d’oc au XIIe siècle, avec Guillaume IX d’Aquitaine (1071-1127), le premier des troubadours connus ; et s’étend jusqu’au XVe siècle dans les pays de langue d’oïl, où Charles d’Orléans (1394-1465) serait le dernier trouvère connu. On vous passe l’anglo-normand, le franco-provençal et toutes les langues merveilleuses issues des fusions gallo-romaines et des gosiers gallo-germaniques[1].
« Dieu, c’est-à-dire la nature » (Spinoza). La reverdie et ses formes diversifiées (l’aube, la pastourelle, etc.), exaltent la puissance « naturante » (génératrice) du divin, et exultent de l’immersion du « naturel » (de la progéniture), au sein de la nature – c’est-à-dire de dieu. Le poète ne chante pas la nature ; il est la nature qui chante ; au même titre que les eaux, les oiseaux, les feuillages. Ce chant de la nature célébrant sa propre renaissance, inséparable de la saison des amours.
Nos vieux chants paysans, même raffinés par de sçavants poètes, ignoraient cette prétendue coupure nature/culture que leur reprochent à tort les novices de l’école desco-latourienne. Pommes et poèmes poussaient naturellement, si l’on ose dire, des poètes et des pommiers. – Mais on peut le dire à la façon du « socialisme scientifique » : « la nature est le corps non organique de l’homme » (Marx).
François d’Assise (1182-1226), né avec la reverdie, pourrait être décrit en termes anachroniques comme un fils à papa des années soixante. Un héritier cherchant sa vocation successivement dans le business, la route et la poésie beatnick (donc mystique), l’engagement chevaleresque au service de la patrie (René Char), et la conversion finale à la vie en communauté (les douze premiers franciscains), à la pauvreté heureuse et à l’exultation de la coexistence avec frère Soleil, sœur Lune, etc. De manière tout aussi anachronique, on pourrait dire qu’il est contemporain du Jésus qui célèbre « les lys des champs », et du Kerouac qui chante « les vagabonds célestes ». Ces trois-là vivent dans leur temps à eux, qui n’est pas celui de tout le monde.