James Horrox, « Le mouvement des kibboutz et l’anarchie »

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James Horrox

Le mouvement des kibboutz et l’anarchie.
Une révolution vivante
(2009, traduit de l’anglais par Philippe Blouin
pour les Editions de l’éclat en 2018)

Introduction

« Comme l’homme cherche la justice dans l’égalité,
la société cherche l’ordre dans l’anarchie.
Anarchie, absence de maître, de souverain, telle est la forme
de gouvernement dont nous approchons tous les jours.
 »
Pierre-Joseph Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ? 1840

Parmi toutes les expériences d’« utopies » sociales qui ont pu se développer dans l’histoire récente, le mouvement des kibboutz (1) fait à la fois office d’exemple et d’exception. À partir d’un ensemble de cabanes de torchis rudimentaires établies sur les rives du Jourdain au début du XXe siècle, l’idée d’une société communautaire, dépourvue de toute exploitation et de domination, s’est rapidement implantée en Palestine mandataire et est parvenue à constituer un réseau national de communautés égalitaristes. Avec leurs hauts et leurs bas, ces communes ont perduré sous différentes formes pendant plus d’un siècle.

À la différence des autres expériences « utopiques » qui, pour la plupart, n’ont connu qu’une brève existence historique et ont généralement été rejetées par leurs sociétés d’accueil qui les considéraient avec méfiance et appréhension, les kibboutz ont joué un rôle central et même décisif dans la fondation d’une nation et dans la possibilité donnée à un peuple de se reconstruire. Dès leur création, ils ont assumé l’ensemble des tâches essentielles à la renaissance juive : ils ont aidé à la construction des infrastructures du futur État d’Israël et jeté les bases d’une économie nationale ; ils ont assumé la responsabilité de l’intégration en masse de plusieurs milliers d’émigrants, créé un syndicat national regroupant plus des trois quarts de l’ensemble des forces de travail du pays et fourni une contribution industrielle et agricole encore largement supérieure à leur importance démographique.

Il n’est sans doute pas d’autres pays où les « communes » ont joué un rôle aussi fondamental dans la vie de la nation. Et pourtant, parmi les innombrables études universitaires qui ont été réalisées sur le plus célèbre des mouvements communautaires, bien peu ont été en mesure d’identifier un précédent paradigmatique de son mode unique d’organisation. La plupart se contentent simplement d’y appliquer des termes vagues et ambigus, comme « communisme » ou « socialisme en miniature ». Or, le modèle politico-économique qui a si bien servi, et pendant si longtemps, les communautés de kibboutz était inspiré en fait autant des formes étatiques de socialisme que du capitalisme de marché. Tandis que seuls quelques rares observateurs ont accepté l’idée selon laquelle « la doctrine des kibboutz contenait “un élément anarchiste (2)” », il serait beaucoup plus pertinent d’analyser le kibboutz comme une filiation idéologique de la tradition anarchiste, plutôt que du socialisme d’État. C’est ce que ce livre se propose de montrer.

Vision sociale de l’anarchisme

Depuis que Pierre-Joseph Proudhon a utilisé pour la première fois, en 1840, le mot « anarchie » pour décrire une doctrine sociale, le terme a été si souvent mal interprété que sa signification a presque entièrement été perdue. Pour la plupart des gens, l’« anarchisme » évoque plus un cauchemar dystopique que la philosophie utopique qu’il est de fait et, par conséquent, cette théorie politique et économique s’est vu refuser toute l’attention qu’elle mérite.

Loin de faire la promotion du désordre, comme beaucoup se l’imaginent, l’anarchisme est essentiellement une forme de socialisme antiautoritaire, fondée sur la croyance que les formes politiques hiérarchiques sont à la fois importunes et inutiles. Il propose le démantèlement de toutes les institutions sociales fondées sur l’autoritarisme, la coercition et l’exploitation, et préconise leur remplacement par des institutions alternatives à caractère coopératif et non gouvernemental. Alors que le socialisme d’État cherche à imposer un ordre social hiérarchisé au moyen de structures politico-économiques centralisées et verticales, l’anarchisme part du principe que les peuples sont capables de se gouverner eux-mêmes sans ces institutions et en échappant aux relations de pouvoir qu’elles supposent. Par ce principe du « pouvoir par le bas », les anarchistes estiment que la société est capable de se transformer elle-même, à partir des communautés locales, en un système fondé sur l’autogestion, la démocratie directe et la durabilité écologique, sans l’exploitation et l’inégalité inhérentes au socialisme d’État, soviétique ou chinois pour ne parler que des exemples les plus récents (3).

Pierre Kropotkine

Les idées anarchistes ont commencé à émerger au début du XIXe siècle, et se sont rapidement cristallisées au fil du siècle en un courant de pensée sociale cohérent, aux objectifs clairement définis, s’appuyant non seulement sur une critique radicale de l’État capitaliste, mais également sur une conception développée d’une alternative au capitalisme pour le monde à venir. Ce livre se concentre tout d’abord sur l’héritage politique, au sein du mouvement des kibboutz, du penseur russe Pierre Alexeïevitch Kropotkine (1842-1921) – l’un des théoriciens anarchistes les plus influents du XIXe siècle, et dont la théorie de l’anarcho-communisme (connue soit comme « communisme anarchiste », « socialisme libertaire », ou « anarchisme communautaire ») a sans doute laissé l’héritage le plus substantiel à la pensée anarchiste.

L’anarchisme de Kropotkine était fondé sur la croyance que le progrès humain repose sur l’entraide et la coopération plutôt que sur la compétition. Dans sa vision de la société post-capitaliste à venir, les institutions coercitives et exploitantes de l’État capitaliste centralisé seraient remplacées par un réseau librement fédéré de communes agro-industrielles volontaires, administrées démocratiquement par leurs membres, sans structures autoritaires et hiérarchiques, ni aucun cadre de sanctions légales.

Au sein de ces communautés décentralisées, les gens pourraient vivre en toute égalité, autant comme producteurs que comme consommateurs, la distribution des biens et des ressources étant fondée sur le principe communiste « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ». Les biens et les moyens de production seraient mis en commun, le système des salaires abandonné et la division capitaliste du travail remplacée par l’intégration du travail manuel et du travail administratif dans un système de rotation des tâches. Kropotkine estimait que, grâce à l’autogestion et la démocratie directe qui prendraient la place des structures de décision centralisées, ce système permettrait une société libre et sans classes.

Aux yeux de Kropotkine, le modèle économique capitaliste n’est logique et désirable que dans la mesure où l’on considère le gain personnel et la plus-value (la croissance économique créée par le travail non rémunéré ou, en termes marxistes, le « produit de l’exploitation ») comme le fondement de l’activité économique. Si, au contraire, les besoins de l’individu étaient pris comme point de départ, la société tendrait vers le « communisme », un mode d’organisation qui, à son avis, permettrait de satisfaire tous nos besoins d’une manière complète et efficace.

En considérant le travail comme une activité sociale qui dépend de la coopération collective plutôt que d’un effort individuel, Kropotkine suggérait que la richesse produite par ce travail pouvait être une propriété collective destinée à promouvoir le bien commun. Dans la mesure où les biens, les moyens de production et tout ce qui vise à satisfaire les besoins de la société ont été créés à partir d’un effort collectif, ils doivent nécessairement être mis à la disposition de tous.

Dans la société future de Kropotkine, tous les biens – y compris les moyens de production – devraient appartenir en commun aux membres de la communauté. Les produits manufacturés seraient ainsi mis à la disposition de tous. Kropotkine pensait que l’abolition de la propriété privée et le transfert des moyens de production à la propriété commune entraîneraient l’écroulement de tout système de salaires. Dans la mesure du possible, tous les biens et services devaient être fournis gratuitement, disponibles en abondance et accessibles sans limites. Quant aux biens rares, ils seraient tout simplement rationnés (4).

Pour Kropotkine, la fusion du travail manuel et du travail administratif était cruciale pour aménager des situations où l’individu ne serait pas forcé de travailler, que ce soit sous la contrainte ou avec la promesse d’une rémunération. Mis à part la stratification sociale résultant de la division du travail (où la fonction détermine le statut social et le niveau de récompense matérielle), Kropotkine considérait l’idée que nous puissions passer notre vie confinés dans une seule activité répétitive comme un « principe horrible, nuisible à la société et abrutissant pour l’individu (5) ». Après avoir mis un terme à la séparation entre le travail manuel et intellectuel, il estimait que « le travail ne se présentera[it] plus comme une malédiction du sort : il deviendra[it] ce qu’il doit être : le libre exercice de toutes les facultés de l’homme (6) ».

Bien qu’elle soit une entité autogérée, la « commune libre » de Kropotkine prend place à l’intérieur d’un réseau fédéré d’organisations également décentralisées, chacune d’elles représentant une unité de production dans une économie fondée sur la spécialisation des fonctions. Inévitablement, la variété des besoins sociaux rendrait ces communes interdépendantes et elles se développeraient ainsi de concert au sein d’une société complexe, fluide et décentralisée. L’association volontaire entre et au sein même des fédérations de communautés se substituerait aux centres de production centralisés et hiérarchiques de l’État capitaliste. Avec un pouvoir fédéral réduit à son plus simple appareil et maintenu sous le strict contrôle des délégués des communautés, la coordination de l’économie serait assurée par un réseau entrelacé de groupes et de fédérations locales, régionales et nationales.

Le système de non-gouvernement

Tout comme Marx, Kropotkine estimait que le mode d’organisation de l’activité économique détermine tous les autres aspects de la vie sociale ; la « superstructure non économique » d’une communauté – ses normes sociales, culturelles et politiques – est le reflet de sa base économique. Le système spécifique de gouvernement en vigueur dans une société donnée est donc l’expression de son régime économique, et vice versa. Dans la société idéale de Kropotkine, où l’antagonisme entre employeur et employé serait remplacé par un travail volontaire et coopératif, il n’y aurait tout simplement plus besoin de gouvernement. « Le système non capitaliste », écrit-il, « implique un système de non-gouvernement (7) ».

Cela ne veut pas dire qu’une communauté anarchiste devrait être exempte de règles, mais plutôt que les règles et les normes de comportement qui assurent l’harmonie sociale devraient être élaborées collectivement et être maintenues de manière volontaire sur la base de l’entente des parties, sans mécanismes d’autorité coercitive – police, Cour de Justice, système pénal – pour les appliquer. La cohésion sociale serait ainsi garantie du fait que le peuple remplacerait la compétition et l’antagonisme qui caractérisent les sociétés marchandes par la coopération, la solidarité et l’entraide.

Une fois que les inégalités propres à l’État capitaliste seraient éliminées, il en irait de même du besoin de les restaurer, faisant du crime un souvenir du passé. La menace de sanctions légales imposées par quelque forme d’autorité que ce soit deviendrait de fait superflue, les mœurs sociales non écrites étant parfaitement satisfaisantes pour assurer l’harmonie sociale. L’accomplissement des obligations de l’individu vis-à-vis de la société relèverait des « habitudes sociables » de chacun et « le besoin éprouvé par chacun d’entre nous, de chercher l’appui, la coopération, la sympathie de ses voisins (8) ».

L’anarchisme et le mouvement des kibboutz

L’influence de Kropotkine sur la pensée anarchiste au XIXe siècle fut si profonde que sa théorie de l’entraide et de la production coopérative et décentralisée servira de base à la plupart des formes ultérieures d’anarchisme communautaire (9). Étant donné sa diffusion dans les cercles socialistes européens de son époque, il ne fait aucun doute que la plupart des penseurs qui eurent le plus d’influence sur la formation de la théorie et la pratique du sionisme socialiste naissant étaient non seulement au fait des idées de Kropotkine, mais les considéraient comme une source d’inspiration majeure pour la nouvelle société qu’ils voulaient créer en Palestine.

Kropotkine lui-même s’était intéressé aux questions liées à l’antisémitisme et avait entretenu d’excellentes relations avec des travailleurs juifs au cours des années qu’il avait passées en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Parlant couramment le yiddish, il a rencontré et a correspondu avec un grand nombre de ceux qui allaient devenir des personnages clés dans la planification des colonies coopératives en Palestine, y compris avec Franz Oppenheimer, l’architecte de Merḥavia, la toute première coopérative juive en Palestine (10).

Ainsi, les livres de Kropotkine furent parmi les premiers à être traduits en hébreu et diffusés en Palestine mandataire dès les années 1920. Ses articles ont été repris dans les publications de nombreux groupes et organisations impliqués dans le jeune mouvement ouvrier juif. Selon Avraham Yassour, historien et membre de kibboutz,

l’idée de construire l’avenir par la création autonome de communes plaisait à nombre de pionniers. […] La doctrine [de Kropotkine], qui se fondait d’abord sur le besoin absolu de liberté pour l’individu, et par conséquent sur le besoin absolu d’organisations volontaires et non gouvernementales, était parfaitement adaptée à la réalité qui s’affirmait petit à petit à l’intérieur du mouvement des kibboutz (11).

Les jeunes hommes et femmes qui arrivèrent en Palestine dans les trente premières années du XXe siècle, n’y trouvant aucune structure étatique – excepté les artifices coloniaux des Ottomans et, par la suite, du mandat britannique –, furent face à ce qu’ils considéraient comme un vide sans précédent qu’ils s’efforcèrent de remplir avec un certain assemblage idéologique. Au sein de ce ferment intellectuel, l’anarchisme eut une influence beaucoup plus importante qu’on a généralement voulu le croire. Pour Yaacov Oved, historien des kibboutz, les influences anarchistes étaient « fréquentes » parmi la génération fondatrice des communards* (12), et chaque vague du mouvement des kibboutz a d’une manière ou d’une autre ressenti l’impact de l’anarchisme de Kropotkine (13).

Gustav Landauer

Kropotkine avait de nombreux admirateurs au sein du mouvement travailliste à l’époque, dont quelques-uns des noms les plus célèbres de l’histoire du sionisme socialiste. Toutefois, le principal responsable de l’introduction des idées de Kropotkine dans ce milieu fut sans aucun doute l’intellectuel anarchiste allemand Gustav Landauer (1870-1919). À travers la grande amitié qui liait Landauer au penseur juif Martin Buber, sa conception de la transformation sociale assuma un rôle central dans la pensée de nombreux membres des mouvements de jeunesse qui partirent établir des kibboutz en Palestine au début des années 1920, et en particulier ceux de l’Hashomer Hatsaïr (« La Jeune garde »), dont les communautés formeront par la suite la fédération Kibboutz Artzi.

Landauer acquit une certaine notoriété auprès de la gauche européenne au cours des années 1890, avec le groupe d’étudiants radicaux Die Jungen (« Les Jeunes »). En tant qu’éditeur du journal du groupe, Der Sozialist (« Le Socialiste »), il devint une sorte de figure de référence parmi les jeunes révolutionnaires de la classe moyenne berlinoise et se fit rapidement un nom dans des cercles plus larges. Dans les premières années du XXe siècle, il était connu en Europe en tant qu’essayiste, conférencier, dramaturge, romancier, journaliste, critique de théâtre et théoricien politique. Bien que ses origines petites-bourgeoises et son opposition aux théories de la lutte de classe l’aient mis en conflit avec le courant dominant du mouvement ouvrier, sa contribution à la culture allemande fin-de-siècle* fut telle qu’on put compter parmi ses admirateurs certaines des figures littéraires et intellectuelles les plus estimées en Allemagne (14).

Influencé par les idées de Friedrich Nietzsche, Pierre Kropotkine, Léon Tolstoï et Pierre-Joseph Proudhon, tout comme par les romantiques allemands et des auteurs anglophones tels que Oscar Wilde, Walt Whitman et William Shakespeare, la politique de Landauer était fermement opposée au matérialisme prôné par la gauche anarchiste européenne au tournant du siècle. Au cœur de son anarchisme pacifiste et non doctrinaire se trouvait sa conception de l’État, qu’il ne considérait ni comme une entité abstraite au-delà de la portée des êtres humains, ni comme un simple objet pouvant être « écrasé » par une révolution violente, mais comme un organisme vivant, complexe et enchevêtré, composé d’une multitude de relations interpersonnelles immédiates et fortes. En 1910, il écrivait :

L’État est une relation, un rapport entre les hommes, un mode de comportement des hommes les uns vis-à-vis des autres. On le détruit en contractant d’autres rapports, en se comportant autrement les uns à l’égard des autres. Les hommes vivent actuellement entre eux une relation “étatique” […]. Cet ordre ne peut donc être dépassé que dans la mesure où cette relation est remplacée par une autre (15).

Pour Landauer, c’est la corruption de l’esprit humain (Geist) qui enferme les individus dans les relations de compétition et d’antagonisme qui perpétuent le capitalisme et l’État. Si les individus pouvaient sortir de cette structure sociale et faire revivre l’esprit communautaire qui avait, selon lui, lié la société en un ensemble spirituel solidaire dans les temps prémodernes, et entrer dans un nouveau genre de relations interpersonnelles, le capitalisme et l’État ne pourraient pas survivre.

La révolution doit donc être un processus de régénération massive, une refonte spirituelle commençant par l’individu pour s’étendre à l’ensemble de la vie sociale. Plutôt que de viser un renversement révolutionnaire des institutions de l’État bourgeois et capitaliste, Landauer croyait que pour vaincre le capitalisme et l’État, les individus devaient s’unir en une communauté, « se rassembler, se développer dans un cadre, un sens d’appartenance, un corps aux innombrables organes et sections (16) ». Le cas échéant, la « création et le renouvellement d’une structure réelle organique » pourraient débuter, et c’est cette structure organique qui en temps et lieu détruirait l’État « en le repoussant (17) ». Avec le développement des individus en familles, des familles en communautés, et des communautés en associations, une infrastructure alternative pourrait s’élever au sein même du giron de l’État, pour éventuellement surmonter l’ordre existant et le remplacer par une « société de sociétés » volontariste et librement constituée.

Landauer pensait que les efforts des anarchistes devraient se concentrer sur la restructuration de la société par le bas, sur une auto-émancipation constructive par le biais d’entreprises coopératives pacifiques, autosuffisantes et autogérées, conçues comme les germes d’un avenir débarrassé de toute aliénation. En dernière instance, cet avenir verrait s’entrelacer des alliances et des interalliances entre des communes agro-industrielles librement associées en une « société de sociétés ». Dans ces communes, les vestiges des formes de production artisanales, ainsi que les traditions rurales et communales provenant des sociétés prémodernes, seraient restaurées conjointement avec une industrie à petite échelle. De sorte que l’unité organique entre agriculture, industrie et artisanat, entre travail manuel et travail intellectuel s’en trouverait, elle aussi, rétablie.

Manifestement inspiré par Kropotkine, Landauer décrivait cette communauté comme « un village socialiste, avec ses ateliers et ses manufactures villageoises, avec ses prairies, ses champs et ses jardins, son petit et son gros bétail, son poulailler », ajoutant qu’il « faudra vous habituer à cette idée, vous prolétaires urbains, quand bien même vous semblerait-elle d’emblée étrangère et bizarre, car elle est tout ce qui reste d’un commencement de socialisme véritable (18) ».

Le kibboutz

La conviction de Landauer selon laquelle la clé du perfectionnement de l’homme c’est la réalisation de l’individu, tout comme son insistance sur le fait que cette dernière peut survenir à tout moment, signifie qu’à ses yeux la possibilité utopique existe de toute éternité et non pas comme une simple étape future du développement humain. Cette idée était particulièrement attirante aux yeux de la jeune génération juive qui fut à l’origine du mouvement des kibboutz. Ce n’est donc pas une coïncidence si de nombreux aspects de la théorie sociale de Landauer, elle-même fermement ancrée dans les idées de Kropotkine, finirent par être mis en pratique dans les kibboutz.

Le kibboutz est une communauté volontaire et autogérée, administrée par ses membres de manière démocratique, sans aucune sanction légale ni structure autoritaire ou coercitive pour assurer le respect de ses normes de comportement choisies en collectivité. Au sein des kibboutz, l’autorité politique dépend exclusivement de l’assemblée générale des membres (l’asefa), dont les décisions, qui concernent tous les aspects de la vie du kibboutz, sont prises à la majorité des voix, selon le principe d’une voix par individu. Jusqu’à très récemment, la propriété privée n’existait pas dans les kibboutz. Tous les biens, y compris les moyens de production, appartenaient à la communauté, tandis que la production était prise en charge collectivement, sans aucune rémunération individuelle.

Pensés sur la base d’une économie participative, suivant un principe de roulement des tâches effaçant toute distinction entre le travail manuel et le travail administratif, « les aménagements structurels de la communauté sont unilatéralement conçus pour favoriser la camaraderie sociale, l’entraide, la coopération économique, la répartition du pouvoir, la circulation de l’information et le travail transparent et sans exploitation » écrit Joseph Blasi (19). Dans la commune, les biens et les services sont fournis sur la base du principe « à chacun selon ses besoins ».

En tant qu’entité économique et sociale autonome, le kibboutz incarne ce que Martin Buber appelait une « coopérative intégrale (20) ». Ce qui veut dire qu’à la différence des coopératives traditionnelles – qui sont des organisations où l’on se rassemble pour telle ou telle raison spécifique –, le kibboutz embrasse la vie tout entière de sa société. De sorte qu’on peut le décrire plus justement comme une société de type gemeinschaft (21) : une « communauté », construite sur une forte imbrication des relations, des normes et des obligations sociales, les individus se rapportant les uns aux autres dans un « conditionnement mutuel universel (22) ». L’exigence, au sein des kibboutz, de fusionner la production et la consommation nécessite l’implication directe de la communauté dans toutes les sphères de la vie – qu’il s’agisse des activités politiques, économiques, sociales ou culturelles.

Aujourd’hui, chaque kibboutz compte de 50 à 2000 membres, avec une population moyenne de 400 à 500 personnes (23). Si chacun demeure une entité autonome, son assemblée générale étant souveraine pour tout ce qui a trait aux affaires internes et à son développement social, politique et culturel, il fait toutefois partie d’une structure fédérative, dont le secrétariat général est basé à Tel Aviv (24). Mais dans le cas où une décision du secrétariat général ne serait pas acceptée par tel ou tel kibboutz, le secrétariat n’aurait cependant qu’un pouvoir très limité (voire même pas de pouvoir du tout) pour intervenir sur ce choix.

Les kibboutz et le sionisme

Dans sa postface à l’édition anglaise de 1974 du livre de Kropotkine, Champs, Usines et Ateliers (25), l’anarchiste britannique Colin Ward cite le kibboutz comme l’un des rares exemples dans l’histoire où la théorie sociale de Kropotkine aurait trouvé une expression pratique réussie. Ce constat s’accompagne toutefois d’une mise en garde : « En citant les colonies collectives juives comme exemples de la commune idéale de Kropotkine, écrit-il, il nous faut les considérer sans aucune référence aux fonctions qu’elles ont assumées au cours des dernières décennies au service du nationalisme et de l’impérialisme israéliens (26). »

Mise en garde de taille, pour certains. Le lien du mouvement des kibboutz post-1948 avec l’État d’Israël – un pays dont le nom est devenu synonyme d’apartheid et de néo-colonialisme pour la gauche contemporaine, du fait, notamment, de la quantité de ses membres qui ont rejoint les services de sécurité, les Forces armées israéliennes (IDF) et l’élite politique du pays – explique dans une large mesure le fait que les kibboutz n’ont généralement pas été perçus par les mouvements anarchistes comme des partenaires dans leurs luttes. Beaucoup considèrent leur simple existence comme reposant uniquement sur le déplacement forcé et l’asservissement des populations arabes locales, et ont tendance à considérer tout idéal progressiste d’égalité et de justice sociale professé par les kibboutz comme nul et non avenu au regard de la profonde inégalité sur laquelle se fonderait la manifestation pratique de cet idéal.

Par définition, une commune qui prête officiellement allégeance à quelque État que ce soit ne peut être considérée comme une entité anarchiste. Cela ne veut pas dire toutefois que nous ne pouvons pas tirer des leçons des préceptes politiques pratiqués à l’intérieur de cette commune. En 1962, on pouvait lire dans Freedom, un journal anarchiste londonien :

[Le kibboutz] est l’un des meilleurs exemples de démocratie et certainement ce qui se rapproche le plus d’une pratique anarchiste parmi celles qui existent aujourd’hui. Toutes les théories chères aux anarchistes, comme la décentralisation, l’opinion des minorités, la « loi » sans gouvernement, la liberté sans licence ou la délégation de représentants, sont ici parties prenantes de l’existence quotidienne. Dans ce microcosme, on peut voir à l’œuvre les balbutiements de ce qui pourrait advenir dans une société vraiment libre (27).

Au cours de l’histoire, tous les projets d’auto-organisation se sont laissé prendre dans différents types de champs de forces qui ont fini par compliquer leur existence. Le kibboutz n’a pas échappé à la règle.

Notes

1. N.d.T. — Nous n’avons pas utilisé le pluriel hébreu, kibboutzim, pour « kibboutz » ; pas plus que kibboutznikim pour le pluriel de « kibboutznik » qui désigne un membre du kibboutz. Nous avons adopté une transcription simple pour les termes hébreux, pour en permettre la lecture au plus près de leur prononciation. La lettre « ḥet », qui se prononce comme la jota espagnole, est transcrite la plupart du temps par un ḥ.

2. Michael Löwy, Rédemption et Utopie. Le judaïsme libertaire en Europe Centrale, Paris : PUF, 1988, p. 85 [réédition Paris : Éditions du Sandre, 2011].

3. Graham Purchase, Anarchist Society and its Practical Realisation, San Francisco : See Sharp Press, 1990, p. 4.

4. Jon Bekken, « Peter Kropotkin’s Anarchist Communism », Libertarian Labor Review, 11/1991 et 12/1992 (extraits en ligne).

5. Pierre Kropotkine, La Conquête du pain, Paris : Tresse & Stock éditeurs, 1892, p. 247 (rééd. Paris : Éditions du Sextant, 2006) (également en ligne).

6. Ibid., p. 196.

7. P. Kropotkin, « Anarchist Communism » in Anarchism : A Collection of Revolutionary Writings, Roger N. Baldwin éd., New York : Dover Publications Inc., 2002, p. 52.

8. Pierre Kropotkine, La Conquête du pain, p. 40.

9. Par opposition au courant individualiste de la pensée anarchiste, qui souligne la souveraineté de l’individu et reste hostile à la soumission obligatoire de l’individu à toute forme d’autorité externe, incluant les collectivités sociales.

10. Avraham Yassour, « Prince Kropotkin and the Kibbutz Movement », dans From a Kibbutz Commune (A Collection of Papers), Avraham Yassour éd., Haïfa : University of Haifa, 1995, p. 31.

11. Ibidem.

12. N.d.T. Les termes en italiques suivis d’un astérisque sont en français dans le texte.

13. Yaacov Oved, « L’anarchisme dans le mouvement des kibboutz » in Amedeo Bertolo éd., Juifs et anarchistes. Histoire d’une rencontre, Paris : L’éclat, 2008, p. 200.

14. N.d.E.  Sur le rayonnement de Landauer, voir Gustav Landauer, un anarchiste de l’envers, Paris : À contretemps/L’éclat, 2018.

15. Cité par Martin Buber, dans Socialisme et utopie [1950], tr. fr. (modifiée) Paul Corset et François Girard [1977], Paris : L’échappée, 2016, p. 93.

16. Gustav Landauer, « Volk und Land. Dreißig Sozialistische Thesen » [Peuple et Pays. Trente thèses sur le socialisme], Die Zukunft, n° 58, 1907.

17. Cité par Martin Buber, Socialisme et utopie, p. 95.

18. G. Laudauer, « Volk und Land. Dreißig Sozialistische Thesen », art. cit.

19. Joseph Blasi, The Communal Experience of the Kibbutz, New Brunswick : Transaction Inc., 1986, p. 179.

20. Martin Buber, Socialisme et utopie, p. 210.

21. N.d.T. Depuis les travaux de Ferdinand Tönnies et Max Weber, à la fin du XIXe siècle, la sociologie oppose la Gemeinschaft – la « communauté » qui présente une certaine adhérence avec les valeurs subjectives de ses membres –, à la Gesellschaft – la « société » contractuelle, composée de rôles formels et de relations indirectes. Voir sur ce sujet le recueil d’essais de Martin Buber, Communauté, tr. fr. Gaël Cheptou, préface de Dominique Bourel, L’éclat, 2018.

22. Barzel, cité par Christopher Warhurst, Between Market, State and Kibbutz : The Management and Transformation of Socialist Industry, Londres : Mansell, 1999, p. 7.

23. Amir Helman, « Use and Division of Income in the Kibbutz » in Yehudit Agasi et Yoel Darom éds., Alternative Way of Life : The First International Conference on Communal Living (Communes and Kibbutzim), Norwood : Norwood Editions, 1984, p. 46.

24. Cet ouvrage s’en tient à l’étude des kibboutz faisant partie du TKM (Mouvement des kibboutz), une fusion des deux plus grandes fédérations de kibboutz, le Takam (Mouvement kibboutznik unifié) et le Kibboutz Artzi, qui regroupent 94 % de la population totale vivant dans les kibboutz du pays. Les 6 % restants sont recensés comme membres de la Fédération Dati, un regroupement orthodoxe faisant partie du Mouvement des kibboutz religieux. En plus de ses différences structurelles et pratiques vis-à-vis du corps principal du mouvement, Dati présente, pour des raisons évidentes, une relation idéologiquement plus complexe à la tradition anarchiste. Alors que les kibboutzniks de toutes les fédérations sont tous, à quelques exceptions près, juifs, leur judaïsme est surtout d’ordre culturel ou national, plutôt que religieux. Il s’agit évidemment d’une différence notable avec les 17 kibboutz du Dati et les deux kibboutz du mouvement ultra-orthodoxe Poalei Agoudat Israel (Pagi). La Fédération Dati est issue de la tradition sioniste religieuse Mizraḥi, et surtout du courant ouvrier de l’Hapoel Ha mizraḥi. Ce dernier forme, depuis la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, la faction modérée du Parti national religieux. Néanmoins, certains de ses éléments, surtout au sein de son mouvement de jeunesse, le Bnei Akiva, ont subi l’influence du mouvement ultranationaliste de droite Gush Emounim (le Bloc des Fidèles). Même s’il n’est pas question du Dati dans ce livre, il vaut toutefois la peine de noter que ses kibboutz ne sont pas sans leurs propres attaches à la pensée anarchiste – bien qu’elles soient encore plus complexes que pour les autres fédérations. Les mémoires de l’anarchiste Augustin Souchy, qui avait été un membre du Sozialistische Bund de Landauer avant la Première Guerre mondiale, contiennent quelques pages relatant sa visite du kibboutz Yavneh, en 1951, et montrent à quel point il avait été heureux de découvrir que les membres de ce kibboutz Dati avaient été influencés et inspirés par les idées de Landauer (Cf. Michael Tyldesley, No Heavenly Delusion : A Comparative Study of Three Communal Movements, p. 131, et Augustin Souchy, Attention anarchiste ! Une vie pour la liberté, Paris : Éditions du Monde libertaire, 2006).

25. Pierre Kropotkine, Champs, Usines et Ateliers, ou l’industrie combinée avec l’agriculture et le travail cérébral avec le travail manuel, tr. fr. Francis Leray, Paris : Stock, 1910.

26. Colin Ward, « Editor’s Postscript », in Peter Kropotkin, Fields Factories and Workshops Tomorrow, Londres : Freedom Press, 1974, p. 202.

27. S. F., « Reflections on Utopia », Freedom, 24 mars 1962.

James Horrox
Le mouvement des kibboutz et l’anarchie. Une révolution vivante.
Traduit de l’anglais par Philippe Blouin
éditions de l’éclat, 2018

Le fichier pdf du livre (LYBER) est gracieusement disponible
sur le site des Editions de l’éclat

Version 1.0.0

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3 Commentaires

  1. Debra

     /  9 Mai 2024

    Merci pour le lien vers un article que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt, JR, et puisqu’on ne peut pas en faire de commentaires sur le site, je me permettrai de faire une ou deux remarques sur cet article très généreux qui donne espoir.

    Pour sionisme culturel, sionisme politique, il est intéressant de s’interroger sur la fonction ? de la phrase « l’année prochaine à Jérusalem » qui formule l’aspiration d’un Juif vivant physiquement loin de la terre sainte. Il s’agit d’une aspiration qui rassemble le « peuple » juif dans SON ASPIRATION, SON DESIR. Or… il y a mille lieux entre aspirer vers son désir, et se trouver physiquement sur une terre. L’aspiration, le désir fédérait le peuple juif dans le temps, et ce désir exprimait également une nostalgie pour un enracinement qui avait été détruit sous l’empire romain, déjà…

    L’aspiration, le désir de ce qu’on n’a pas donne paradoxalement plus d’énergie, de motivation que le fait d’obtenir ce qu’on veut, car une fois qu’on l’a obtenu, l’enjeu n’est plus le même, et le désir de l’obtenir s’évanouit. Cela s’appelle la condition humaine universelle, d’ailleurs.

    Pour le nationalisme moderne, il est à interroger par rapport au statut plus que problématique qui émane de l’identité juive à l’heure actuelle qu’on est Juif…. par naissance, (le mot « natio », veut dire « naissance »), et non pas par alliance, en sachant que le Dieu d’Abraham est celui dont l’identité même est fondée sur l’ALLIANCE avec l’Homme… Il s’agit d’une antinomie, donc, et d’une certaine manière, ce nationalisme politique dont il est question dans l’article est un reniement du Judaïsme en tant que religion de l’alliance.

    Le désir occidental ? de réparer le tort fait à un peuple juif qui par le passé en Occident incarnait l’étranger, et l’extraterritorialité AU SEIN d’une communauté a paradoxalement porté atteinte à ce qui a fait la grande force du peuple juif ? du Judaïsme ? Triste ironie du sort qui voit ce peuple privé de sa force et réduit à considérer son identité comme tous les autres..

    A ceci près que dans le contexte actuel, on peut se demander dans quelle mesure il est pertinent de parler encore de « peuple »…pour quiconque, d’ailleurs.

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  2. JR

     /  7 Mai 2024

    Sur le « sionisme culturel » on pourra lire également cet intéressant papier d’Olivier Tonneau dans A contretemps
    https://acontretemps.org/spip.php?article1046

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  3. Debra

     /  3 Mai 2024

    Hmmm. Je suis très ambivalente en lisant cette introduction de James Horrox ce matin.

    Cela m’a permis de me rendre compte que le retour en Palestine d’une NATION, une entité politique, et la colonisation d’un grand nombre de Juifs qui sont revenus sur des terres dont ils avaient été chassés par Titus, en premier, ressemble par certains côtés à la colonisation des Etats-Unis, avec ce rêve d’autodétermination, ce rêve de liberté qui sous-tend ces expériences de colonisation. Car l’histoire des U.S., de ses institutions gouvernantes, est très déterminée par le sens du mot « peuple » tel qu’il a pu émerger dans le récit du « peuple » juif, et la nation d’Israël. A l’époque biblique, et pour notre modernité aussi.

    L’utopie du kibboutz ne me séduit pas, ni non plus ses prémices. J’y vois… l’instauration de la fourmilière, avec les meilleures intentions, bien entendu, mais la fourmilière, quand-même. Et j’y vois un ensemble de préjugés, d’idées fondamentales que je ne partage pas non plus. Opposer « compétition » et « coopération » empêche de les intriquer, de les faire marcher la main dans la main, ensemble. Cette opposition néglige de voir une réalité où la compétition QUAND ELLE EST CADREE, peut avoir du bon pour stimuler, pour donner de l’énergie et de la direction à des personnes qui en ont besoin, à certains moments.

    Il est vrai que le problème du travail est le nerf de la guerre. Quel travail pour l’Homme, si on part du principe, à la base, que DANS LE QUOTIDIEN, il y a des actes à accomplir, que ces actes peuvent être contraignants, et entraîner des obligations. Pourquoi le préjugé que le travail… manuel est nécessairement répétitif, et donc, dégradant, et donc, synonyme d’esclavage ? Ce préjugé énorme a conduit le plus grand nombre à s’asseoir sur leurs mains, sauf à les employer pour triturer un ordinatueur CENSE NOUS RENDRE LIBRES…

    Le… LETTRé qui peut lire, qui croule sous une montagne de paperasse… dématérialisée à remplir avec l’aide de l’ORDINATUEUR CENSE NOUS RENDRE LIBRES.. est-il pour autant plus intelligent, plus mieux que la personne qui travaille avec ses mains ? le garagiste ? (ooops, mais maintenant le travail du garagiste est plus mieux, maintenant qu’il a UN ORDINATUEUR CENSE NOUS RENDRE LIBRES pour faire ses DIAGNOSTICS et lui éviter de se salir LES MAINS dans le cambouis…).

    Non, décidément cette utopie si terriblement cotonneuse, et totalisante (pour ne pas employer un autre mot…) ne veut pas qu’il y ait quelque chose à l’extérieur d’elle. Elle veut tout englober. Tout le monde avec sa fonction pour la collectivité, et le « bien commun ». Les auteurs du 19ème siècle ont pu parler encore de la famille comme (première) société, mais je ne suis pas sûre combien de… famille il y a dans le(s) kibboutz. Quelle structure FAMILIALE ? J’en suis curieuse. Car il me semble que pour qu’il y ait famille, il faut quand-même UNE AUTORITE… familiale, et incarnée. Et c’est là que le bat blesse. C’est là qu’on voit que cette entreprise utopique ne veut pas d’une autorité incarnée. L’utopie ne veut pas de… TETE (se souvenir que « caput/capet » se trouve dans « capitalisme ».

    Pour ne pas avoir l’air de tout descendre sans trouver chaussure à mon pied, je suis critique envers… la tendance moderne à tout faire rentrer dans la définition de ce qui peut être obtenu avec l’ARGENT. D’étendre à l’infini le travail MONNAYE, au dépens des relations de gratuité, et de la grâce. Tout en admettant que je ne suis pas sûre du tout que c’est possible. Un certain scepticisme salutaire devrait me souffler que la grâce ne fait que.. se déplacer quand elle est attaquée violemment dans un endroit. Peut-être.

    Mais… Autant il est.. mauvais de vouloir chasser le capitalisme, autant il est mauvais de vouloir vivre exclusivement de la grâce, peut-être le grand péché ? de Jésus qui a diablement essayé de le faire, et qui s’est trouvé cloué à la fin. Non, l’argent a du bon. L’autorité a du bon. LA TETE A DU BON. C’est quand on ne veut être..qu’une tête, ou quand on ne veut pas… de tête que nous souffrons de notre.. très grande inconséquence/incontinence.

    Et pourquoi DIABLE TOUJOURS vouloir être autre que ce que nous sommes, ou dans le pré… A COTE ?? Avec l’âge, on devrait ? pouvoir reconnaître que si, par malchance, on se trouve dans le pré à côté, inévitablement… l’herbe n’est pas parfaite. Pas plus que nous, d’ailleurs…

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