Les rupestres et Gustave Courbet, par Renaud Garcia (Bibliothèque verte de Pièces et main-d’œuvre)

Les rupestres et Gustave Courbet
Notre Bibliothèque Verte n° 59 & 60

Mis en ligne par Pièces et main d’œuvre sur leur site le 21 mai 2024

Aujourd’hui, notre bibliothécaire, Renaud Garcia, nous parlera de l’origine des hommes et de leur monde. « Nous réalisons que l’utérus est un endroit obscur et dangereux, un milieu plein de périls. Nous devons souhaiter que nos enfants potentiels se trouvent là où ils peuvent être surveillés et protégés autant que possible. » Ainsi parle Joseph Francis Fletcher (1905-1991), prêcheur chrétien et sommité reconnue de bioéthique médicale à Harvard. Mais aussi biophobe révulsé par la saleté et les incertitudes de notre naissance inter faeces et urina. Un utérus artificiel serait tout de même plus sain, plus sûr, plus opérationnel (1).

Nous, les humains, nous avons toujours su que nous étions faits de boue primaire, formés au fond d’une fosse hirsute, à l’accès obturé ; la matrice de la mère matière (matr-) (2), dont nous étions finalement issus, expulsés et – pardon pour cette offense – nés. D’une racine I-E* gen(e)-, gnè « engendrer » et « naître », d’où le latin nascor, « naître » ; d’où le participe futur natura, ce qui « va naître », par opposition à ce qui est déjà né ou naissant ; d’où « naissance », que ce soit au présent, au passé ou au futur. Natura désignant à l’origine « l’action de faire naître », le caractère naturel de ce qui naissait s’en suivit naturellement (3).

Exemple : Natura filius, « un fils par nature », par opposition à adoptione filius, « un fils par adoption (4) ». Ce dernier n’étant le frère du premier qu’au moyen d’un artifice juridique. Une convention en vertu de laquelle, on feint de tenir le fictif pour le véridique, l’artificiel pour le naturel, et le fils adoptif pour le frère du fils naturel. Cependant le naturel et l’artificiel, malgré toutes les tentatives de « brouillage » et fausses solutions de continuité, relèvent irrévocablement de statuts ontologiques disjoints et contradictoires. Entre les deux passe toujours un seuil, un saut, une rupture, une épithète qui précise ou modifie le nom auquel elle se rapporte (fils) ; et la nature refoulée rejaillit en force. Sauvons les mots sous peine de sombrer dans la confusion.

Si « nous sommes la nature qui se défend », comme prétendent l’être les chefs occultes des « Soulèvements de la terre (5) », de quelle nature est leur nature ? de qui et contre quoi se défend-elle ? Quelle est son anti- ou sa contre-nature ? Son opposée, sinon son ennemie ? Pour ceux qui se désignent comme naturiens, en référence aux anarchistes anti-industriels du XIXe siècle (6) – et d’ailleurs, pour tous ceux qui parlent français – l’artificiel est l’antinomie du naturel. Le naturel est ce qui naît ; l’artificiel, ce que l’on fabrique. Opposition entre ce qui contient en soi le principe de sa génération (autonomie de la nature) ; et ce qui reçoit son existence de l’extérieur (hétéronomie de l’artefact). Si vous n’y croyez pas, enfermez deux souris, mâle et femelle, et deux smartphones (mâle et femelle), dans deux cages voisines, et voyez lequel des deux couples va se reproduire le premier.

Les fleurs, les neiges et les viandes dites « artificielles » (« de culture »), ne sont que des simulacres et des succédanés, malgré les efforts des industriels pour interdire qu’on le rappelle ; et pour nous contraindre à y voir « la même chose » que les véridiques objets naturels qu’ils falsifient. De même, il n’y a pas plus d’hommes ou de femmes artificiels (« trans »), que de fleurs, de neige ou de viande « de culture » (« de synthèse », en plastique). Mais rien que des faux-semblants sous de fausses appellations, produits de l’industrie médico-pharmaceutique ; et qui imitent quoi, sinon une nature première et authentique (bio) dont ils outrent les caricatures sexistes, d’une manière que n’oseraient plus les pires machistes et misogynes.

On sait du reste que faute de pouvoir produire de vrais hommes ou femmes artificiels – des humains bio – les idéologues « transidentitaires » s’efforcent de ruiner la valeur de l’authentique et de promouvoir celle du factice, désormais réputée supérieure ; au prétexte qu’il résulterait d’une volonté délibérée. Ils y réussiront peut-être grâce au développement forcené de ce que les têtes pensantes des « Soulèvements de la terre » nomment par euphémisme, « les nouvelles pratiques reproductives (7) ». C’est-à-dire la reproduction artificielle de l’humain avec toute la séquelle de ses artifices ; de la FIV aux gamètes artificiels ; du tri et des manipulations génétiques à l’utérus artificiel (8).

Si les « Soulèvements de la terre », c’est-à-dire leurs chefs, sont « la nature qui se défend », toutce que réclame cette pseudo nature, queer & trans, c’est la poursuite consciente de notre« coévolution », mais sous leur gouverne et suivant leurs volontés. Ni plus, ni moins que les cosmistes, les transhumanistes et autres cybernéticiens postulant à la direction du « système Terre », de « l’holobionte Terre », alias « le Vivant », « Gaïa », la « noosphère » – bref, du superorganisme totalitaire dont ils prétendent n’être à la fois que d’humbles composants et les pilotes avisés.

Quant à leur « contre-nature », on a bien compris que ce n’était ni l’artificialisme, ni l’industrialisme, mais un fourre-tout fantastique où le « capitalisme » et ses avatars, « patriarcat », « racisme » et « fascisme » s’entremêlaient de tous temps et en tous lieux à toutes sortes de « phobies » prétendues.

Nous les humains, nous avons toujours su d’où nous sortions et de quoi nous étions faits. C’est dans notre nom ; humus, adamah, le glaiseux, le terreux. Nous le savions avant de lire la Genèse et le mythe de Deucalion (9). Nos ancêtres du Paléolithique, après 2,8 millions d’années, se souvenaient et savaient d’où étaient montés leurs ancêtres. Leurs inscriptions au fond des trous restent en archives pour nous le signifier. Il fallait, à ces reptations au long d’angoissants goulots, à ces perpétuels retours, des millénaires durant, dans ces entrailles humides et obscures, des raisons de vie et de mort.

Le rite qui rappelle. L’ex-voto qui demande ou remercie. La figure et le signe symbolique qui s’adressent à ceux qui viendront là. Ils ont eu raison, nos anciens, dans leur émouvante et incroyable confiance envers leur si lointaine descendance. Depuis moins de deux siècles leurs archives commencent d’être ouvertes et interprétées. S’ils ne peuvent déjà traduire leurs stries, points, cercles, et autres grilles ou spirales abstraites, ceux qui sont enfin venus là, ne peuvent que tressaillir de reconnaissance face aux grandes fresques rupestres d’humains, d’animaux et d’êtres hybrides. Ça leur dit quelque chose. Dans ces vastes salles souterraines, au bout d’affreux détroits initiatiques, c’est un temple qu’ils pénètrent ; où le culte à la lueur des torches célébrait la venue au monde, et la représentait. Actions de grâce à la Mère souterraine ; cérémonies de retour à la vie ; reproductions magiques de créatures. Nous aussi, les humains, nous sommes puissants. Peintres, potiers et géniteurs.

Notes

1. J. Fletcher, The Ethics of Genetic Control: Ending Reproduction Roulette, Buffalo (NY), Prometheus Books, 1988, cité in Pièces et main d’oeuvre. Manifeste des Chimpanzés du futur contre le transhumanisme. Service compris, 2017 – rééd. 2023.

2. Cf. Dictionnaire étymologique du français. Robert, 1989. p. 422.

3. Cf. Dictionnaire étymologique du français. Robert, 1989. p. 324.

4. Dictionnaire latin-français rédigé d’après les meilleurs travaux allemands et principalement d’après le grand ouvrage de Freund par M. Theil, professeur au lycée Saint-Louis. Librairie de Paris, 1852. p. 1027.

5. Les Soulèvements de la terre, Premières secousses. La Fabrique, p. 157-165.

6. Cf. Renaud Garcia, « Léon Tolstoï & les naturiens », in Notre Bibliothèque Verte, vol.1, Service compris, 2022.

7. Les Soulèvements de la terre, Premières secousses. La Fabrique, p. 162-163.

8. Cf. Pièces et main d’oeuvre, Alertez les bébés ! Objections aux progrès de l’eugénisme et de l’artificialisation de l’espèce humaine, Service compris, 2020.

9. Cf. Ovide, Les Métamorphoses.

Pièces et main d’œuvre
21 mai 2024

Pour lire les notices de Renaud Garcia, ouvrir la
version imprimable des Rupestres et Gustave Courbet

 

 

Les notices de la Bibliothèque verte sont publiées par les éditions Service compris

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1 commentaire

  1. Debra

     /  26 Mai 2024

    Je dois recevoir ce texte comme un cri du coeur, et en tant que tel, je le… comprends.

    MAIS… mais, mais…

    Voilà des lustres sur ce site que je rappelle la nature de l’Homme : de marcher debout, ses pieds prenant appui sur le sol, laissant ainsi sa tête libre pour regarder dans le c(C)iel pour voir le soleil, les étoiles, et ses mains LIBRES pour… fabriquer.

    Il y a une sainte opposition entre « genitum » et « factum ». Il m’est venu dernièrement à quoi ça sert, toute cette polarisation, ces oppositions que nous faisons, qui nous renvoient dans les camps : la polarisation fait acte de séparation. La séparation est une douleur, elle disloque ce qui était uni. La séparation taille dans la conFUSION, mais c’est douloureux pour tous. Et nous y sommes, en grand nombre en Occident en ce moment, dans ce besoin de SEPARATION qui jaillit immanquablement à un moment ou un autre quand les mots se sont rassemblés dans un fourre-tout conFUSIONnel, et que leurs significations distinctes se sont émoussées dans nos têtes individuelles.

    En passant je ne connais pas ce dictionnaire « étymologique » de Robert. Je me sers toujours de mon Rey, qui est un Dictionnaire Historique de la Langue Française. A priori, je crois que je préfére consulter un dictionnaire « historique » à un dictionnaire « etymologique ». Je me souviens que l’Allemagne, après ses grandes lumières, a sombré dans un délire mélancolique tragique et grave avec la recherche des « origines » que pratiquaient ses savants. Je me méfie de la recherche obstinée des origines et de l’authentique, comme conduisant immanquablement à l’effondrement mélancolique, et j’y connais quelque chose de première main…Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’effondrement mélancolique n’est pas… confortable.

    Pour revenir à l’image de l’Homme, ses pieds appuyés contre le sol (humus), sa tête dans le ciel, et ses mains libres pour fabriquer, c’est une constellation qui permet de mettre des idées en perspective… La tête de l’Homme dans le ciel indique la direction vers laquelle est aimanté son regard, et fondamentalement, le désir de l’Homme. Désir comme moteur de toute son action, y compris le faire de ses mains. Mais comme je dis souvent ici, l’énorme distance qui s’est ouverte entre tête et pieds avec la station debout, le fait que l’appui de l’Homme contre le sol, l’humus est reduit, cela le fragilise considérablement, le déséquilibre même dans son incarnation, ou ce qui tisse ensemble sa pensée, ses mots, et son être corporel.

    Si je constate avec fatalité qu’une séparation douloureuse est nécessaire pour que les mots veuillent dire, je suis triste d’entendre ici à quel point on tape sur la FICTION, qu’on peut voir dans le « fict », dans le « artiFICE », « artiFICIelle », ce qui provient de ce grand verbe « facere » qui organise tant de choses dans nos existences, jusqu’à être présent dans le mot « fact » en anglais (beau paradoxe).

    Je veux continuer à croire que l’Homme peut FABRIQUER et non pas.. PRODUIRE ? des choses nobles de ses mains, des choses qui sont des fictions, sans être des « contreFAÇons », et je vais continuer à déplorer tant de méfiance envers les choses que nous fabriquons avec nos mains.

    Mais… le problème n’est-il pas plutôt que nous avons déserté la FABRICATION, la « façon » au profit (!!) de la… production de « produits »? En sachant que la « production » est à un cheveu de la… « reproduction », mot laid, pas poétique pour deux sous, que nous employons pour parler d’ « engendrer ». S’il y a un travail historique à faire, ce serait à voir comment nous sommes passés de « engendrer » à « reproduction ». Triste passage… avec de tragiques conséquences. Et l’hégémonie du mot « produit » pour tout ce que l’Homme..façonne, nécessite un douloureux travail de séparation pour délimiter de nouveau « facere », « faire » et « produire ».

    Voilà belle lurette que l’Homme incrimine… la fiction, comme l’éloignant de la vérité vraie, et Renaud Garcia s’insère dans une longue tradition, en posant le problème ainsi. Pour ma part, je pense que l’Homme a beaucoup de mal à sentir le « humus » sous ses pieds, surtout dans ses villes bétonnées, et qu’Il sait quelque part qu’Il doit continuer à manger pour vivre, n’en déplaise à tous ceux qui continuent à proclamer que l’Homme ne vit pas QUE du pain, en oubliant que ce « QUE » n’annule pas la nécessité de mettre quelque chose sous la dent et dans le ventre pour vivre. L’oublier… c’est être hors sol, et là, c’est vraiment tragique.

    Fin de sermon pour aujourd’hui.

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