François Jarrige, postface au « Modernisme réactionnaire »

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François Jarrige

Sur le culte de la technologie

Postface à l’édition française
du Modernisme réactionnaire de Jeffrey Herf paru aux Editions de L’Echappée

Depuis les débuts de l’âge industriel, le déferlement incessant et le gigantisme croissant des technologies ont conduit à de nombreux débats et querelles sur leurs risques, leurs potentialités et leurs effets. Si l’hostilité et la fascination à l’égard des nouvelles technologies n’ont évidemment rien de neuf, elles s’exprimèrent avec une intensité particulière dans la première moitié du XXe siècle. Au cours de cet « âge des extrêmes » qui vit les ravages des deux guerres mondiales ainsi que l’accélération de l’industrialisation et l’essor de la consommation de masse, la question des techniques fut prise dans un ensemble de discours opposés et conflictuels. Dans le champ intellectuel, elle suscita d’innombrables querelles et controverses qui se déclinèrent en de subtiles nuances selon les pays. Parallèlement au développement du capitalisme et de la colonisation et aux grandes crises sociales et culturelles qui secouèrent l’époque, les nations industrialisées expérimentèrent en effet un déferlement inédit de nouvelles technologies – pensons à l’électricité, à l’aviation, à la chimie. Partout dans le monde, la question des techniques surgit alors comme un enjeu décisif, opposant des critiques pessimistes et inquiets aux entrepreneurs modernes et enthousiastes, tandis que les discours laudateurs sur la technique s’incorporaient aux nationalismes triomphants.

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Jeffrey Herf, préface au « Modernisme réactionnaire »

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Jeffrey Herf

Le modernisme réactionnaire

Préface à l’édition française de 2018
aux Editions de L’Echappée

J’ai été ravi d’apprendre que les éditions L’Échappée avaient décidé de publier une traduction française de mon ouvrage Reactionary Modernism et de le faire découvrir aux chercheurs ainsi qu’à un plus large public s’intéressant à ces questions, en France comme dans les pays francophones. Ce livre a été tout d’abord publié en Grande-Bretagne, en 1984, par Cambridge University Press. Je me suis ensuite toujours abstenu de le réviser ou de le compléter chaque fois qu’il fut traduit – et il l’a été dans plusieurs langues : en italien (en 1988), en espagnol (en 1990), en japonais (en 1991) et en portugais (en 1993). Il a été écrit dans un contexte intellectuel bien particulier : sa préparation et les débuts de son écriture se déroulèrent aux États-Unis, à partir de la fin de la décennie 1970, époque où je m’efforçais, en m’appuyant sur la Théorie critique, d’expliquer ce que je considérais être un paradoxe de l’histoire allemande – en l’occurrence, la manière qu’avait eue l’Allemagne, tout au long de la république de Weimar, puis sous le règne nazi, de rejeter le legs des Lumières pour adopter, dans le même mouvement, l’un de ses produits : la technologie moderne.

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