François Lonchampt, deux articles dans « La Décroissance »

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François Lonchampt

Deux articles dans La Décroissance

Tribune parue dans le n° 197 de mars 2023

François Lonchampt est l’auteur d’Une merveilleuse victoire qui n’existait pas (L’Allée des brumes, 2022), et avec Alain Tizon, de Votre révolution n’est pas la mienne (Sulliver, 1999). Il a contribué longtemps à La Révolution prolétarienne, revue syndicaliste révolutionnaire fondée par Pierre Monatte en 1925.

L’existence de faux universels dissimulant des intérêts de classe, coloniaux ou d’un autre ordre est avérée, sans qu’on doive conclure pour autant qu’il n’en saurait exister aucun, qu’au nom d’un relativisme absolu on doive réfuter la possibilité même d’une appréhension objective de la réalité, qu’en raisonnant avec logique on fasse preuve d’un insigne mépris envers les peuples premiers. Et les questions sexuelles ou raciales sont sans doute des questions sérieuses, outre-Atlantique notamment. Peut-être n’ont-elles pas été traitées par nos aînés avec l’attention qu’elles méritaient – en référence aux conditions de la production et de la reproduction sociale, non aux fantasmes des activistes ou aux caprices des minorités concernées. Cette carence a déchaîné une funeste cabale qui menace la vie intellectuelle d’un affaissement durable, le patrimoine culturel d’annulation pure et simple, les factions révolutionnaires d’une stérilité sans failles.

Une fois échappées des laboratoires de recherche où elles auraient dû rester confinées en effet, concourant à la perte de tout point de vue à partir duquel il soit loisible de porter un jugement fondé sur ce monde, les impostures du post-modernisme militant ont fini par infuser dans l’ensemble de la société, gangrenant la gauche de la gauche, l’écologie politique et le courant libertaire, qui dans sa déclinaison collectiviste passait autrefois pour une des meilleures veines du parti prolétarien.

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Albert Camus chez les travailleurs du livre

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La Révolution prolétarienne

Albert Camus
chez les travailleurs du livre
(1958)

Samedi 21 décembre, à la Bourse du travail (avenue Turbigo), invité par le Cercle d’études syndicales des correcteurs, Albert Camus a parlé des rapports de l’écrivain et des travailleurs de l’imprimerie, devant deux cents compagnons, parmi lesquels de nombreux correcteurs bien sûr, mais aussi des linotypistes, des typographes, des mécaniciens, des rotativistes, des clicheurs et des photograveurs.

Après que Faucier nous eut exposé le sujet de l’entretien qu’avait bien voulu accepter Albert Camus, notre camarade Lazarevitch avec une chaleureuse émotion, fit en quelques mots l’éloge de notre ami : « Un fait est simple : nous sommes en présence d’un des rares écrivains qui n’acceptent pas de se laisser corrompre… »

L’ambiance ainsi créée, il s’agissait en somme de poser à notre invité des questions. relatives à la liaison nécessaire entre l’écrivain et l’ouvrier du livre. Lazarevitch nous proposa un canevas basé sur les faits propres à servir de fil conducteur à notre entretien : 1) nous vivons une période où de multiples obstacles s’opposent à la diffusion de la pensée ; 2) la science et la technique, cependant, ne progressent que grâce à l’imprimerie ; 3) la radio est capable de bousculer tous les conformismes, par exemple en réalisant le miracle de nous faire entendre Camus lisant Caligula et de provoquer ainsi parmi les jeunes auditeurs des échos inattendus. Il est souvent visible que des gens sont fatigués des slogans et les périodes redondantes qui ont pour mission d’endormir le sens critique des foules. Et si, par exemple, la Literatournaïa Gazeta, parlant de Camus et faisant allusion à son Homme révolté l’appelle « le petit Christ », c’est évidemment dans le but de ridiculiser l’auteur et de déconseiller la lecture de son livre. Mais rien ne nous dit que quelque part, à Vorkouta ou ailleurs, un curieux n’a pas voulu quand même savoir.

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