Jack Kerouac et Romain Gary, par Renaud Garcia (Bibliothèque verte de Pièces et main-d’œuvre)

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Jack Kerouac et Romain Gary

Notre Bibliothèque verte n°55 et 56

Mis en ligne par Pièces et main d’œuvre sur leur site le 11 mai 2023

On aurait difficilement pu trouver deux auteurs mieux assortis pour ces diptyques de Notre Bibliothèque Verte que Jack Kerouac et Romain Gary. Deux hommes d’un même temps – Gary (1914-1980) naissant avant et mourant après Kerouac (1922-1969). Deux fils à leurs mamans, irrémédiablement liés à leurs mères ; deux fils de leurs mères, spirituellement et physiquement, Kerouac ne pouvant se résoudre à vivre ailleurs que chez Mémère ; Gary, incurable orphelin à 30 ans, ne vivant que pour accomplir les rêves mis en lui par sa mère. Les fils et les mères nous comprendront (les fils aînés surtout, les vrais fils).

Ces deux fils sont par ailleurs deux ingénus, d’une ingénuité à fondre en larmes, et à rire aux éclats parfois. Deux inadaptés mystiques et picaresques se fourrant dans des milieux et des aventures incongrus, d’une sensibilité jumelle et superlative qui en aurait fait de bien meilleurs compagnons de route que ceux qu’ils côtoyèrent – mais ils se succédèrent à Big Sur sans s’y croiser. Solitaires au fond, pudiques, secrets, odieux, égoïstes (des fils à leurs mamans), souvent hâbleurs (« mythomanes »), d’une noblesse, d’une délicatesse et d’une générosité incompréhensibles, insoupçonnables au commun de leurs congénères. Ce n’est pas facile d’être Kerouac ou Gary. On en bave. On paye cher.

Nos deux amis des bêtes, des chats, des éléphants, et même des hommes (libres dans une nature libre), ont bien des tares en commun. On a gardé la pire pour la fin : ils sont français et ils n’ont même pas honte ! Gary, ce juif de Lituanie, né Kacew, dans l’empire tsariste, est français par sa mère, par l’amour de sa mère pour le pays de la liberté, pour sa langue, ses livres, son histoire. Étonnez-vous que le chevalier Gary rejoigne Saint-Exupéry, dans l’aviation de la France libre.

Si Gary parle français dès l’âge de 14 ans (cours particuliers, installation à Nice), Jean-Louis Le Bris de Kerouac, dit Ti-Jean, dit Jack, ne parle que français jusqu’au même âge. Le français de Lowell, Massachusetts – sa langue maternelle broyée depuis 200 ans dans les gosiers du Québec et celui de Mémère la Catholique. Un « patois canuck infantile » qu’il écrit toujours à l’oreille en 1951 : « J’ai pas aimé ma vie. C’est pas la faute à personne, c’ainque moi. Je voué ainque la tristesse tout partout. Bien des foi quand y’a bien du monde qui ri moi j’wé pas rien droll » (La Nuit est ma femme). « Sé dur pour mué parle l’Angla parse je toujours parle le Francas Canadien chenou dans ti-Canada » (La vie est d’hommage).

Il fait d’ailleurs, quatre ans avant sa mort, une virée éthylique à Paris et en Bretagne, sur les traces de ses aïeux, errance pathétique bâclée dans le pathétique Satori à Paris. Il est très dur de considérer que Kerouac ne s’est pas suicidé, comme Gary, mais à coups de bouteilles plutôt que de pistolet.

Vous voulez savoir ce qu’était « l’exception française » ? Voyez Gary, voyez Kerouac et quelques autres.

Pièces et main d’œuvre
11 mai 2023

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Les notices de la Bibliothèque verte sont publiées par les éditions Service compris
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